Dans
la région rennaise, le nom de Tulou (indifféremment orthographié
Tulou ou Tullou) est associé à une famille de sculpteurs
qui jouit d’une très grande réputation. En effet,
au côté de celui des Croizé et Allory, le nom Tulou
figure parmi les trois plus célèbres (trois rues du centre de Pacé portent d'ailleurs leurs noms). Ainsi, dans son
livre paru en 1927 et consacré au meubles du pays de Rennes,
le docteur Jambon les place particulièrement en exergue. Citons
trois passages de l’ouvrage :

Mais alors que l’on en connaît
les raisons pour ce qui concerne les premiers (on considère que les plus beaux meubles
rennais fabriqués sont ceux des Croizé
sur quatre générations et les Allory sont bien connus
pour ceux de Charles Allory qui a marqué les esprits
en signant presque toutes ses œuvres) l’origine d’une
telle renommée se rattachant aux Tulou peut apparaître plus
étonnante puisqu’on ne connaît que très peu d’ouvrages
signés de leurs mains. On doit certainement et tout d’abord
voir des causes de cette réputation de par la généalogie
familiale justement prise en exemple par le Docteur Jambon :

Cette transmission du métier de menuisier-sculpteur
sur six générations fait des Tulou la plus longue dynastie
connue. Elle commence avec l’apparition des premiers meubles du
style rennais vraiment abouti, ainsi l’armoire signée Jehan
Tulou et datée 1759 conservée par les Musées de
Rennes qui prend place parmi les plus anciennes connues, et la génération
Tulou est encore présente à la fin de la fabrication.
Et sans doute aussi, la personnalité de Raphaël Tulou,
qui fut l’un des derniers sculpteurs du mobilier du pays de Rennes,
n’est pas sans incidence sur la renommée familiale encore bien vivante.
Tulou Raphaël Baptiste Joseph, dit Raffig
Tullou (1909-1990) : Artiste rattaché au fameux groupe "Ar
Seiz Breur" (Les sept frères), en tant que décorateur il a collaboré avec l'architecte malouine Yves Hémar, sculpteur tant sur bois (meubles celto-bretons) que sur pierre (auteur de la statue de Nominoë à Bains sur Oust), personnage fantasque enfin, féru d’ésotérisme et
de légendes celtiques, et qui se faisant appeler sous le nom druidique
(druide, il l'était en effet) de Nven Lewarc’h (Lewarc’h le jeune).
Si près de huit artisans
répondant au nom de Tulou ont été recensés,
l’étrangeté vient du fait que paradoxalement bien
peu de leurs œuvres
l’ont été. Ils ont pourtant dû produire un certain nombre d'armoires mais il est vrai que beaucoup, parmi les premières armoires fabriquées, ont disparues, et l'on peut supposer que certains de la jeune génération ne signaient pas tout, car il faut rappeler qu’il existe de nombreuses armoires rennaises non signées, y compris parmi les plus richement sculptées. Ainsi en est-il d'une armoire
de l’ancienne collection Jouanolle, modèle datant en effet
du milieu du XVIIIe siècle, et que l’on peut attribuer
à Jacques Tulou lui même, mais plus précisément sans doute vers 1760 :

Nous
pouvons voir dans les armoires de 1777 et 1780 ,
tout comme dans celle de 1772 de la collection Jouanolle (notre prédécesseur,
ancien grand spécialiste du mobilier rennais), tant par la qualité
du décor que par l’exécution de celui-ci, les véritables justifications de la renommée des Tulou. Le dessin est superbe,
la sculpture parfaitement dégagée, et assurément
Jacques Tulou est de ceux qui ont mené, avec Charles Croizé
et quelques autres, le mobilier rennais à son apogée.

Voici un détail de notre armoire de 1777 permettant de mieux juger de la qualité de sculpture, purement exceptionnelle. Le style ornemental de Jacques Tulou est au plus proche de celui de Julien Dondel (La-Chapelle-des-Fougeretz n'est elle pas également au plus proche de Saint-Sulpice-la-Forêt, et même plus encore de Betton où Dondel pourrait avoir eu un temps un atelier, tel que signalé par le Dr Jambon), mais il cède moins à la nouveauté de la Régence, et sa sculpture perd en souplesse ce qu'elle gagne en rigueur de ciselure. Ainsi si la virtuosité de Julien Dondel rejoint celle de Jean-Charles Croizé, celle de Jacques Tulou nous paraît égaler celle de Charles Croizé.
Nous
savons que le style rennais est issu de la venue de sculpteurs ornemanistes
parisiens et de l’interprétation locale des ornements "à la Bérain".
Comme le suggérait déjà le Docteur Jambon, de nombreux
artisans de la capitale sont venus travailler à Rennes à
partir de la fin du XVIIe siècle et ont notamment contribué
à la décoration du Parlement de Bretagne. Ils ont formé
localement des apprentis mais il fort possible que certains de ces maîtres-sculpteurs
soient demeurés à Rennes. Devons-nous y voir l’origine
des Croizé et des Tulou (noms répertoriés justement,
en dehors du pays de Rennes, uniquement à Paris) et dont les dons
de sculpteurs n’en finissent pas de nous étonner? C’est
une hypothèse qui peut sérieusement être avancée...
Nous avons pu voir ou avoir quelques très rares exemplaires de Jehan et Jacques Tulou, dont deux signés Jehan. Signalons cependant, pour le second, que la date au troisième chiffre illisible demeure mystérieuse. On a cru y lire 1727, mais nous voyons cette armoire de fabrication postérieure à celle du musée de Bretagne (fabriquée alors que le sculpteur n'a encore que 24 ans - Et s'il existe bien une armoire datée 3 ans plus tôt, le Dr Jambon précise bien : "Louis XIII", modèle qui est toujours sommé d'une corniche droite et adopte une large traverse basse façon coffre (ces deux détails étant caractéristiques des plus anciennes armoires rennaises).
