Les Meubles du Pays de Rennes

 

 

Fronton d'armoire de François Allory - Collection personnelle

 

La dynastie des Allory de Pacé


Voici un autre nom éminemment célèbre dans le Pays de Rennes, celui d'une famille de sculpteurs apparentée aux Croizé par le mariage d'Angélique Allory, la soeur aînée de François I Allory , avec Charles I Croizé.

Cependant, pendant longtemps on aurait pu s'étonner, par ce que l'on pouvait en juger au travers des archives documentaires, de la réputation quasi égale des deux familles. Quasiment aucune photographie dans le livre du Docteur Jambon et si dans Menuisiers et mobilier du Pays de Rennes Gwénaël Baron et Alison Clarke consacrent un chapitre à Charles Allory (le seul membre de la famille alors vraiment documenté) ils ne semblent disposer encore que de bien peu de documents photographiques d'œuvres de ses deux aînés. Certes ils avaient connaissance de quelques armoires respectivement datées : 1778 (citée dans le livre du Docteur Jambon : "Fait par moi François Allory anno domini ce 14 mars 1778"), 1781, 1784 et 1791, ainsi que d'un buffet daté 1780, mais sans apparemment pouvoir en proposer de clichés (excepté pour le buffet, très simple d'ailleurs), et donc à dire vrai rien de vraiment formidable à voir pour ce qui concerne le travail des Allory.
Il faudra attendre l'année 1984 pour mieux saisir la raison de cette résonance du nom Allory avec la mise en vente à Drouot chez Ader Picard Tajan d'une prodigieuse armoire signée François II et datée 1809 (vendue 101.000 francs au marteau, ce qui en 84 était un prix rare pour une armoire régionale). A peine deux ans plus tard nous avons eu le bonheur de trouver un modèle presque semblable du même auteur, daté cette fois 1807 (les musées de Rennes qui nous contactèrent un peu tardivement, la mise en page de leur ouvrage étant bouclée, regrettèrent de ne pouvoir inclure, parmi d'autres documents d'archives en notre possession, ces deux armoires en particulier, mais parvinrent tout de même à glisser dans leur ouvrage quelques clichés de détails de notre armoire de 1807). Cette même année 1984, à la salle des ventes d'Arles, apparut une autre splendide armoire, mais cette fois Louis XIV et signée François I Allory, datée 1784. Un pur chef d'œuvre cette fois encore, un meuble vendu au marteau 60.000 frs de l'époque). Dans cette même décennie nous avons fait l'acquisition de quelques rares modèles d'armoires de Charles Allory et nous avons pu admirer la plus sculptée qui lui soit connue dans une collection privée du Pays de Rennes. Enfin en 2024 nous avons fait la découverte d'une fabuleuse armoire de François I Allory datée 1788, et cette dernière est également fort riche en enseignements.
Nous commencerons cette fois à l'inverse de l'ordre chronologique par présenter un ensemble d'armoires de Charles Allory, le plus emblématique des sculpteurs rennais, qui est l'auteur d'une importante production (notons que nous avons pu recenser quasiment presque autant d'armoires de Charles Allory que d'armoires de l'atelier de Charles II Croizé) de meubles de très belle qualité. On verra d'une part, grâce à la documentation en partie inédite que nous apportons ici, que Charles Allory est l'auteur de quelques armoires réellement superbes mais un peu après que, contrairement à ce qui était perçu depuis des décennies, il n'est pas, et loin s'en faut, le seul instigateur de la notoriété du nom Allory.

 

Charles Allory

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1813"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1814"
Collection privée

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1815"
Collection privée

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1816"
Collection privée

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1819"
Collection privée

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1822"
Collection privée

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1824"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1824"
Collection privée

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1825"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1826"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1826"
Collection privée

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1830"
Collection privée

""FAIT PAR CHARLES ALLORY 1831"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1835"
Ancienne Collection Jouannolle

"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1847"
Collection Mairie de Pacé

 

Charles Allory a produit pendant plusieurs décennies un type d'armoire auquel nous sommes devenus familiers, toutes de belle qualité et jamais exactement semblables. Cependant, outre celle déjà connue de la Mairie de Pacé, se distinguent ici quelques superbes modèles, possédant à la fois davantage de richesse et d'originalité que son modèle classique (1814 -16-19-24-26-31-35). Ce sont en particulier l'armoire de 1813 et surtout celle de 1815, certainement l'armoire souveraine parmi toute sa production connue, et enfin l'armoire de 1830, que nous jugeons la plus charmante entre toutes. Il convient de noter que toutes ses armoires sont sculptées d'un cœur au centre de la traverse basse qui est à voir comme une véritable "signature figurative".

Charles Allory est né à Pacé (le véritable "berceau" du mobilier rennais) en 1783, et le meilleur avenir lui est promis puisque son père, François Allory, est un célèbre sculpteur et qu'on lui a donné le prénom de son parrain Charles Croizé, le plus célèbre entre tous. Cependant, son père décédera prématurément en 1794, alors qu'il n'est encore qu'un enfant de onze ans et que son frère aîné, François, n'a pour sa part que treize ans. Il est donc tout naturel qu'il sera pris sous la tutelle de son parrain (et très probablement son frère aîné avec lui). A cet égard, l'armoire de 1815, confrontée aux œuvres de Charles I Croizé de 1801 et de 1803 (période où justement le jeune Allory termine son apprentissage) vient parfaitement nous éclairer. Nous savons que Charles Allory, dont la mère ne s'est pas remariée, demeurera dans la maison familiale de Pacé (citons ici un passage de l'ouvrage de Baron et Clarke où il est dit qu' "Anne Berthelot -soit la veuve Allory- recrute en 1812 comme remplaçant aux armées de son fils Jean, un jeune paysan de Saint-Gilles". Il faut bien comprendre que c'est un apprenti pour Charles Allory qui est recruté à la place de son jeune frère qui ne fut certainement qu'apprenti lui-même). Charles en sera donc le maître (au moins à partir du départ de son frère aîné en 1810) et dirigera l'atelier Allory jusque dans les années 1850. Ceci nous est corroboré par les datations des armoires connues de sa main allant de 1813 pour la première à 1847.

 

"FAIT PAR MOI CHARLES CROIZE
CE 3 JANVIER L'AN 1803"

Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel
"FAIT PAR CHARLES ALLORY 1815"
Collection privée

"PAR CHARLES CROIZE L'AN 1801
OU L'AN DIX DE LA REP"

Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

 

 

François II Allory

Le frère aîné de Charles Allory, prénommé François comme son père, est plus mystérieux. Tout d'abord ses œuvres (qui sont extrêmement rares) ne figurent dans aucun ouvrage traitant du mobilier rennais et même elles sont restées quasi inconnues jusqu'en 1984. D'autre part nous savons fort peu de choses sur lui. A t'il rejoint l'atelier Croizé pour y faire son apprentissage après la mort de son père ? C'est en effet plus que probable et d'autant qu'à cette époque l'atelier de Charles Croizé se situe à Saint-Gilles, soit à moins de 5 km de Pacé. D'ailleurs, nous ne voyons tout simplement pas comment il aurait pu devenir le sculpteur qu'il est devenu sans cela. On apprend aussi qu'il s'installera à Rennes en 1810 et donc qu'il cessera son activité alors qu'il n'a que 29 ans, soit à l'âge de pleine maturité de sa carrière. Celui qui aurait pu être l'égal de son cousin Charles II Croizé est-il devenu ébéniste comme on l'a prétendu ?

 

S'il n'était qu'un mot pour évoquer François II Allory ce serait fulgurance, car en effet il n'aura fabriqué des meubles rennais que pendant une très courte période (moins de 10 ans) et se sera pourtant hissé au rang des plus grands noms de ce mobilier. Ses armoires sont d'une très grande rareté et, en ayant fait la découverte, nous avons le plaisir de les présenter ci-dessous.

 

"FAIT PAR FRANCOIS ALLORY 1807"
Collection Antiquités Philippe Glédel

"Au nom de la Nation, le conseil, tous les corps FRANCOIS ALLORY 1808"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR FRANCOIS ALLORY 1809"
Vente Drouot 1984

   

 

Attribuable à FRANCOIS ALLORY
Collection privée
Reproduite dansVie à la Campagne (1922)

 

 

Les deux armoires de 1807 et 1809 sont de purs chefs-d'oeuvre et figurent parmi les plus belles armoires rennaises jamais fabriquées. Les frontons des corniches aux phénix (voir le détail en haut de page) sont absolument splendides. La sculpture de François Allory est très douce et rappelle celle de son cousin Croizé, le dessin un tout petit peu moins enlevé toutefois tandis que ses moulures sont plus épaisses. Ses armoires donnent à la fois une impression de finesse et de puissance et sur les trois signées de sa main on notera la spécificité des larges médaillons figurant des "pies royales picorant des baies. S'il a beaucoup appris de son oncle, il semble que François Allory, au contraire de son frère, fut imprégné à jamais du travail de son père. A treize ans il était en âge de l'apprentissage et il n'a donc pas manqué d'apprendre avec lui et d'observer son père à l'ouvrage mais aussi quelques-uns de ses meubles, peut-être y en a t'il dans la maison familiale, et il ne lui aura pas été difficile d'en rencontrer dans des habitations avoisinantes, possiblement aussi des dessins et croquis sont demeurés dans l'atelier qui n'a pas été vendu et qui sera le sien vers 1800.

L'armoire de 1808 n'est pas signée sur le faux-dormant mais on peut lire au dos du panneau supérieur du battant gauche des inscriptions à l'encre rouge : "Au nom de la Nation, le conseil, tous les corps" suivie de la signature et de la date. Sans doute François Allory, dont le grand-père rappelons-le était maître d'école, est issu d'une famille favorable à la République et à la Constitution et peut-être, lui-même bonapartiste, entend ici le signifier.
Nous lui attribuons une dernière armoire (sans faux-dormant) non signée (sinon peut-être "à la rubrique") reproduite dans Vie à la Campagne de 1922 (elle y est légendée comme datée 1780 mais il semble y avoir confusion avec celle de François Allory père, présentée à sa droite, pour laquelle rien n'est indiqué mais dont nous savons justement qu'elle est datée 1780).
Nous ajoutons également ci-dessous une armoire de son frère Charles (également sans faux-dormant) tout d'abord parce qu'on y observe le même rare type de signature mais aussi parce que cette armoire de Charles Allory est assez différente de celles qu'on lui connait et possède avec l'armoire de François datée 1808 un air de famille. Aussi nous ne pensons pas nous tromper de beaucoup en la datant des environs de 1810. Le détail le plus éloquent est la largeur des médaillons, absolument spécifique au travail de François II Allory, spécificité de l'atelier qui lui vient de son père, comme nous allons le voir plus bas avec une première armoire de François I Allory de 1782 mais surtout avec notre armoire datée 1788.

 

"FAIT PAR MOI CHARLES ALLORY... "

"FAIT PAR MOI CHARLES ALLORY..."
Collection privée

"Au nom de la Nation, le conseil, tous les corps FRANCOIS ALLORY 1808"

 

 

François I Allory

"FAIT PAR MOY FRANCOIS ALLORY
CE 4 OCTOBRE ANNO DOMINI 1780"

Reproduite dansVie à la Campagne (1922)

"F. P. M. FRANCOIS ALLORY
1782"
Collection privée

"FAIT PAR MOY FRANCOIS ALLORY
1784"

Vente à Arles 1984

"FAIT PAR MOY FRANCOIS ALLORY
1784"

Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR MOY FRANCOIS ALLORY DE PACÉ FAIT ANNO DOMINE CE 6 JUIN 1788"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR MOY FRANCOIS ALLORY
... ANNO DOMINI 1792"

Collection privée

 

François I Allory surprend tout d'abord par la diversité de ses modèles. L'armoire la plus ancienne est de pur style Louis XIV, mais quel changement seulement deux ans plus tard avec cette armoire déjà de style Régence qui le fait entrer dans le rang des précurseurs. Petit retour en arrière avec une troisième armoire (comptant tout de même parmi les plus anciennes de ce type) d'un style de transition entre les deux premières, armoire absolument superbe qui peut prétendre figurer parmi les plus remarquables de ce style. Nous observons que notre armoire fabriquée en cette même année 1784 est presque similaire, et nous arrivons à notre armoire de 1788, autre sublime armoire, mais cette fois de style Régence, qui définitivement finit de nous convaincre comment et pourquoi François Allory, au talent visiblement à l'égal de celui son beau-frère Charles Croizé, a pu jouir d'une grande réputation en son temps.
Nous noterons qu'assez curieusement aucune armoire de Charles Croizé (né en 1746, et donc de 12 ans l'aîné de François Allory) n'est recensée avant 1798. Rappelons
toutefois un exceptionnel deux corps qui l'est de 1785 (buffet qui sans doute fera parler de lui et dont la formule décorative sera reprise par d'autres sculpteurs tels que Jean-Baptiste Depouez et Jean Saunier), soit alors qu'il est âgé de 39 ans et marié depuis 11 ans à la sœur de François Allory. La production connue de François Allory commence elle dès 1780 (sans oublier une armoire recensée datée de 1778), alors qu'il n'a que 22 ans et, tout du moins à la vue des documents dont nous disposons, il semble chaque fois marquer un temps d'avance sur Croizé. Les deux François Allory ont donc eu des carrières fulgurantes servies par un talent peu ordinaire.
A noter une armoire signée "Allory" et datée 1760 recensée par les musées de Rennes, mais dont une photographie nous a suffit pour juger les inscriptions purement apocryphes (Croizé et Allory sont bien entendu les noms qui reviennent le plus souvent dans les fausses signatures).

 

 

 

 

Comparaisons

entre les armoires

de

François I Allory

et de

Charles I Croizé

"FAIT PAR MOY FRANCOIS ALLORY
1784"

Venteà Arles 1984

 

"FAIT PAR MOI CHARLES CROIZE
CE 12 JANVIER 1798"
Mobilier du Pays de Rennes-Musées de Rennes

armoire-rennaise-Croizé-1800

"FAIT PAR MOI CHARLES CROIZE
CE 18 GERMINAL DE L'AN VIII"
Soit
le 8 avril 1800
Collection privée

"FAIT PAR MOY FRANCOIS ALLORY DE PACÉ FAIT ANNO DOMINE CE 6 JUIN 1788"
Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

"FAIT PAR MOI CHARLES CROIZE
CE 3 JANVIER L'AN
1803"

Ancienne Collection Antiquités Philippe Glédel

 
 

Historique de nos armoires rennaises d'exception

ANTIQUITÉS PHILIPPE GLÉDEL – TOUS DROITS RÉSERVÉS. 1998/2025