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ARMOIRE RENNAISE PAR CHARLES CROIZE |
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Cette armoire est un meuble de sculpteur, et n'est pas la première venue, loin s'en faut : - Tout d'abord elle appartient à l'âge d'or du mobilier du pays de Rennes, une courte et florissante période de transition entre meubles de style Louis XIV et Louis XV qui va de la fin du XVIIIe siècle jusqu'aux toutes premières années du XIXe siècle, durant laquelle les hiératiques armoires à trois panneaux et pieds droits de type Louis XIV voient leurs montants s'arrondir, leurs pieds se galber, leurs sculptures foisonner, et qu'apparaissent les premières armoires à deux panneaux chantournés et sculptés d'une luxuriante ornementation toujours inspirée du répertoire dit "à la Bérain". - Par ailleurs nous avions souligné, dans le cadre du descriptif d'une armoire signée Depouez, que des armoires rennaises il en est relativement beaucoup et de toutes sortes, tant les menuisiers qui s'activaient dans le pays de Rennes étaient nombreux (pas tous véritablement professionnels, mais pour beaucoup de simples amateurs fabriquant à moindres coûts), et en vérité il faut bien comprendre que c'est moins d'une dizaine de sculpteurs par générations qui auront à eux seuls fabriqué les modèles les plus dignes d'intérêt... Or notre armoire est l'œuvre du plus grand sculpteur du pays de Rennes, Charles Croizé (1746-1814), menuisier et sculpteur à L'Hermitage puis à Saint-Gilles. Il y a une certaine correspondance entre les Croizé en Bretagne et les Hache en Dauphiné (toutes proportions gardées naturellement), et en paraphrasant Édith Mannoni parlant de Thomas Hache, nous pourrions dire : il existait dans le pays de Rennes une important corporation de menuisiers dont les fameux Allory et Tullou. Mais à partir de 1800, personne ne peut plus suivre Charles Croizé. Il est semblablement question pour les Croizé d'une dynastie qui s'étire sur trois générations, et tout comme les Hache ils ont utilisé les plus beaux bois de la région, ils ont fabriqué les meubles les plus soignés mais surtout ils se sont montrés novateurs et même nous pourrions ajouter les plus grands inventeurs, entraînant les autres à leur suite. Charles Croizé est donc quelque part le Thomas Hache du mobilier rennais, et sans nul doute il aura, et ses fils après lui, fabriqué les meubles les plus éblouissants jamais vus en Bretagne. - Enfin et pour finir cette armoire de Charles Croizé est incontestablement la plus remarquable que nous lui connaissons, et dès lors il va de soi que nous la considérons comme l'une des plus exceptionnelles armoires rennaises.
Notre armoire est donc ici encadrée par la célèbre armoire du musée de Rennes et par une armoire vendue en 1984 chez Ader Picard Tajan à Drouot (101.000 francs au marteau soit hors frais). Corrigeons : Armoire en merisier mouluré et abondamment sculpté de motifs dits "à la Bérain". Travail du pays de Rennes. XIXe). Il convient de signaler que ces deux modèles ont leur quasi jumelle (mais d'une qualité toutefois très légèrement inférieure) : armoire signée Croizé datée 1825 [d'une collection privée rennaise] et armoire signée Allory datée 1807 [de notre collection privée]. Nous n'allons pas énumérer ici tous les éléments composants cette fastueuse ornementation, (nous y serions encore demain), ni les qualités du sculpteur (se reporter à notre exposé sur les Croizé), bornons-nous à énoncer ce qui est nouveau, car cette armoire innove incontestablement et a dû marquer les esprits, c'est sans doute pourquoi d'ailleurs, sans même en avoir de photographie, les auteurs des plus anciennes publications ne manquèrent pas d'en faire mention: LES BEAUX MEUBLES RUSTIQUES DU VIEUX PAYS DE RENNES - Dr. Jambon / Ed. Laffitte
MENUISIERS ET MOBILIER DU PAYS DE RENNES - Gwénaël Baron / Ed. Apogée
Tout d'abord le fronton de corniche à galerie, ajouré à claire-voie, que nous avions pu voir sur un buffet de 1815 de nos anciennes collections par le sculpteur Jean Rouge de Cintré, puis sur les armoires de 1824 et 1825 de Charles Croizé II évoquées (on en verra très peu d'autres par la suite, et en tous cas jamais plus de cette qualité), apparaît ici sur une armoire double cintre pour la toute première fois, et nous pensons raisonnablement que Charles Croizé en est tout simplement l'inventeur. Cependant, précisons toutefois qu'en 1801, s'il est âgé de 55 ans, son fils aîné a 26 ans (ce qui n'est pas loin de l'âge de la pleine maturité pour un sculpteur, surtout quand il a les dons que nous lui connaissons) et voilà qui nous amène à émettre l'hypothèse que cette armoire doit probablement résulter d'une collaboration entre père et fils (pour reprendre notre comparaison avec les ébénistes de Grenoble, tout comme Pierre Hache, Jean-Charles Croizé aura longtemps patienté avant de devenir le maître de l'atelier Croizé, car en effet son père y demeurera jusqu'à l'âge de 67 ans). Ajoutons que sur de nombreux points l'armoire de Charles Croizé II du musée de Rennes se réfère à notre armoire de 1801 (la reprise du cadre mouluré sur les épais montants est d'ailleurs presque un archaïsme en 1824).
D'autre part, si de nombreux éléments du décor sont bien spécifiques à l'ornementation habituelle de Charles Croizé I (coquilles à l'amortissement des portes, couronnes de fleurs...), outre ce formidable fronton, quelques éléments sculptés sur cette armoire nous ramènent plutôt au répertoire de Charles Croizé II (larges coquilles godronnées de la traverse basse qui sont à voir comme parmi ses plus caractéristiques décors à venir).
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