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Très rare commode d'époque Louis XV en noyer blond des Alpes, ouvrant à deux tiroirs, galbée
en façade et en côtés, coiffée d'un marbre de La Mure,
et portant l'étiquette de 1769. Grenoble XVIIIe
siècle.
Né le 10 janvier 1730 à
Grenoble, apprenti chez son père Pierre Hache dès l'âge
de 16 ans, établi à son compte à partir de 1754,
nommé en 1770, à la suite de ses aïeux, ébéniste
du duc d'Orléans, Jean-François Hache est l'héritier
d'une dynastie d'ébénistes qui s'étale sur quatre
générations (Noël, Thomas, Pierre, puis Jean-François) et perdure pendant
près de 150 ans. Jean-François est certainement le plus
célèbre de tous, mais il partage avec son père et
son grand-père la réputation de plus grand ébéniste
de province, chacun d'eux considéré en effet comme capable de rivaliser de talents avec
les plus grands maîtres-ébénistes parisiens. Il
est quasiment établi que Jean-François Hache a séjourné
chez Jean-François Oeben, l'ébéniste du Roi, et
ce dernier aurait même probablement rendu visite aux Hache, très
intéressé par leurs placages de bois indigène.
Il n'est pas inutile de rappeler qu'il existe bien davantage de commodes dans le goût des Hache (et parmi elles beaucoup qui leur sont
abusivement attribuées / Voir notre article à ce sujet ici : http://antiquites-gledel-philippe.chez-alice.fr/T_Commode_de_Jean-Francois_Hache_en_noyer.htm#Les-Faux) que de commodes véritablement
fabriquées par les maîtres grenoblois. Leur
renommée était telle qu'ils furent copiés par de
nombreux menuisiers ou ébénistes du Dauphiné, et
parmi eux d'anciens apprentis formés à l'atelier même,
et leur influence s'exercera également au delà des frontières,
notamment vers l'Italie voisine, et particulièrement l'Emilie.
Notons que nous n'avons pas ici une commode décrite comme attribuée ou attribuable
à Jean-François Hache mais comme une commode de Jean-François
Hache, et portant l'étiquette de l'atelier.
Nous verrons plus bas les différents
éléments techniques et visuels qui permettent d'attribuer
avec certitude une commode aux Hache, mais disons tout d'abord que malgré
les efforts des suiveurs, l'originalité mais surtout la qualité
de leur fabrication, techniquement sans défauts, est telle qu'en
présence d'une de leurs commodes il n'est pas de place pour
le moindre doute. Si Jean-François Hache, en particulier, a été
beaucoup copié, il n'a jamais été égalé,
et ses meubles robustes mais infiniment gracieux procurent une véritable
émotion à l'observateur... A l'exemple de ce modèle classique de commode en sauteuse à la Régence en bois naturel que nous présentons, simple en apparence, mais seulement en apparence, car en vérité il est le fruit de décennies de mises au point des formes et des lignes par des maîtres doués d'un grand savoir faire doublé d'un génie artistique.
Notre commode possède encore son étiquette collée
dans le tiroir supérieur :
Il s'agit de l'étiquette n° V du classement Fonvieille, utilisée en 1769.
La commode est entièrement galbée et fabriquée, conformément au choix prioritaire des Hache,
dans un bois de pays : un superbe noyer blond des Alpes, choisi pour son
beau veinage ramageux à grain très fin, pour les parties
apparentes, et du sapin pour les fonçures. S'il s'agit là d'un
modèle classique de Jean-François Hache, il se distingue de beaucoup d'autres par la richesse apportée par le marbre et la garniture de bronze, des poignées en particulier de la plus belle des qualités (modèle Louis XV inédit chez les Hache et pourtant absolument d'origine), et avec cul de lampe également présent au tablier.
Le meuble est en effet coiffé d'une table de pierre marbrière dite
"de la Mure", plus précisément nommé Peychagnard. Il
s'agit d'un très remarquable calcaire gris-noir nuagé de blanc. Ces marbres étaient
débités sur place à l'aide d'une simple scie à
eau, transportés à Grenoble, finis en ponçage à la main, et ainsi on retrouve sur
le parement de celui-ci de nettes ondulations, très caractéristiques
des marbres du XVIIIe siècle.
Les commodes Louis XV en
bois naturel des Hache sont davantage appréciées avec
un plateau de marbre, tant il est vrai que ceux-ci sont d'une très
grande beauté et que de plus les commodes qu'ils coiffent sont
d'un fini remarquable et se trouvent souvent enrichies par la pose d'un bronze d'ornement à l'agrafe
de la traverse basse (tout au moins pour les grands modèles), alors que les mêmes modèles de commodes,
mais à dessus de bois, plus rustiques, n'en sont généralement
pas dotées. Les premières étaient beaucoup plus chères à l'époque (tout comme elles le
demeurent aujourd'hui sur le marché de l'art) et étaient destinées (particulièrement pour des châteaux du Dauphiné presque entièrement meublés en bois naturel) aux pièces d'apparat (comme le confirme généralement l'ajout d'une dorure sur les bronzes de ces modèles). Il est à ce titre
significatif que l'ébéniste indique précisément
dans le libellé de ses étiquettes publicitaires : "tables
et commodes à dessus de marbre". Elles sont aussi beaucoup plus rares, et ainsi nous n'en connaissons que cinq autres (tandis que nous pourrions en compter des dizaines à plateau bois), trois grands modèles : celle du Musée Dauphinois avec une semblable étiquette de 1769, une autre (vente Aguttes) provenant d'un château du Dauphiné (demeure entièrement meublée au XVIIIe siècle, tout comme Longpra, par Jean-François Hache) qui possédait très probablement l'étiquette de 1767, et une troisième, la plus large, de nos anciennes collections, avec l'étiquette de 1771-1772, et enfin deux plus petits modèles : l'une passée en vente publique à l'hôtel Drouot (vente Brissonneau - Daguerre) à l'étiquette probablement disparue et l'autre d'une ancienne collection privée (reproduite dans le Fonvieille et aujourd'hui en vente chez notre collègue Franck Baptiste) à l'étiquette également disparue.
Ce marbre épais, au pourtour mouluré d'un bec de corbin,
ne suit pas exactement les lignes de la commode, selon une habitude
chère à Jean-François Hache, et de même,
un élégi pratiqué sur les bordures de l'envers
du marbre, destiné à affiner la mouluration, est encore
une autre particularité de leur travail, mainte fois soulignée par Pierre Rouge. Notre commode va nous permettre d'en expliquer le pourquoi... En effet le façonnage en contreparement du marbre est ici très étonnant puisqu'en vérité le chant du marbre à l'arrière est de 4.5 cm (encore pourrions-nous préciser côté arrière gauche car en côté arrière droit c'est environ 4 cm) pour 3 cm à l'avant. Ceci a d'ailleurs stupéfait notre ébéniste qui n'était pas en possession du marbre et n'avait jamais rien vu de pareil (d'autant qu'il se trouvait devant une commode avec des pieds "à l'état du neuf"), car en effet Jean-François Hache a ajusté le bâti de sa commode au délignage en biais de la rive du marbre. Pierre Rouge décrit un autre cas d'adaptation au marbre (Le Génie des HACHE -
planche 140) qu'il qualifie de "caractérisque de l'inventivité de l'ébéniste". De même, à mieux y regarder, nous observons que la commode du musée de Grenoble (voir plus bas, la toute première en partie documentation / Cliché de côté) présente quasiment la même façon que la nôtre.
Au XVIIIe siècle, la carrière de la Mure était peu exploitée et l'outillage y était relativement rudimentaire, y compris pour l'époque, cela nous le savons et, du fait de l'amplitude des failles alpestres, il est fort probable que les marbres exploités à l'époque fussent particulièrement fragiles à la découpe, ce qui explique que les tables de marbre qui partaient de la Mure arrivaient à Grenoble grossièrement sciées. Pour le cas qui nous occupe, 4,5 cm correspond davantage à l'épaisseur standard d'une pierre pour buffet de chasse qu'à celle d'un marbre de commode à deux tiroirs. Cela nous permet de mieux comprendre le soucis récurrent chez Jean-François Hache d'amincir ses marbres dans les parties visibles, soit au niveau du bec-de-corbin (qui est bien déligné à 3 cm sur tout le pourtour de notre commode) et nous comprendrons aussi, tant pour cette dernière que pour celle du musée Dauphinois et enfin également celle étudiée planche 140 de l'ouvrage cité, qu'il soit plus aisé pour des ébénistes d'ajuster la construction du bâti d'une commode plutôt que de redéligner un marbre. Hache aura naturellement choisi de disposer le marbre parties épaisses à l'arrière, ceci permettant de le maintenir, et mieux encore que ne le serait un marbre parfaitement plan, sur la commode.
Dans tous les cas nous voyons bien ici l'importance que Jean-François Hache accordait à ces fameux marbres de la Mure dont il semble avoir eu, s'agissant de mobilier, quasiment l'emploi exclusif.
A propos d'atypisme, il en est un autre visible sur chacun des côtés de notre commode, une curieuse descente de la découpe profilée à l'approche du pied postérieur par une sorte de volute, un tracé novateur auquel le génie inventif de notre ébéniste (on pourrait quelquefois ne pas manquer d'évoquer l'atelier lui-même, car on oublie trop souvent le rôle non négligeable qu'y auront joué certains des meilleurs compagnons) se sera essayé mais sans à notre connaissance le retenir par la suite.
D'ailleurs, en regardant attentivement les commodes de même modèle présentées en documentation, on constate qu'il n'en est pas une exactement semblable.
Conformément à son habitude et un usage déjà établi du temps de son père, Pierre Hache, la commode repose sur des pieds antérieurs "à pastille" et des pieds postérieurs profilés. La traverse
basse chantournée, doublée selon une technique habituelle
de l'atelier, est agrémentée au centre d'une gracieuse découpe de tablier. A noter que la forme du
bronze d'ornement s'adapte parfaitement à cette découpe,
caractéristique des Hache qui parent leurs meubles
sans excès mais de manière fort judicieuse.
On pourra découvrir,
au fil des photographies, par comparaison avec les documents joints,
que le montage de notre commode est tout à fait conforme et identique.
L'état d'origine de l'ensemble du meuble est absolument superbe :
Les bois de façade et de côtés sont quasiment exempts d'attaques xylophages.
Le marbre de la Mure, au très remarquable aspect jaspé,
fabriqué il y a plus
de 250 ans,
n'a jamais été restauré,
il se présente avec "un beau vécu" et une superbe patine.
Ornementation de bronze doré :
quatre poignées de tirage,
deux entrées de serrure
et un cul-de-lampe.
Deux serrures en fer.
Grenoble - Epoque Louis XV - XVIIIe siècle.
Dimensions : 85,5 cm de haut x 135 cm
de large x 65,5 m de profondeur.
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Principales spécificités
de l'atelier :
- Le célèbre pied à pastille, mis au point par
Pierre Hache (sur les faux elles peuvent être rapportées).
- Les larges chanfreins à bossage reliant le large montant simplement
arrondi au chantournement du pied lui-même (sur les faux "le pli" est plus mince, tout comme le sont généralement les montants).
- Le montage à clef des traverses, procédé inventé
par les Hache destiné à occulter les chevilles jugées
disgracieuses dans leur recherche de pureté des lignes. (sur les faux vous verrez des chevilles, on vous expliquera qu'elles sont postérieures mais souvent sans pouvoir vous montrer de clefs bouchant la mortaise).
- Pour mettre en évidence les surfaces lisses
des côtés, les Hache utilisent une construction particulière
de ceux-ci, en planches jointées par rainures et languettes puis galbées dans la masse. Le pied arrière est découpé dans le plan du montant et semble faire corps avec le côté, il se termine par un simple pied profilé (d'où très probablement l'invention du pied à pastille pour mieux accorder pieds avant et arrière).
- Le plateau, qu'il soit en bois ou en marbre, ne suit pas les contours de la commode, des galbes lui sont ajoutés.
- Toujours pas soucis de fluidité, Hache arrondissait les bordures de tiroir sans les moulurer.
- Le plancher est monté par l'arrière dans un coulisseau rainuré, le dos qui vient terminer le montage de la commode est simplement fixé en feuillure des côtés par de gros clous forgés.
- L'élément le plus déterminant de l'attribution
à l'atelier des Hache est le montage en feuillure, également
nommé à encastrement. Signe d'une fabrication soignée,
il procure l'avantage de faire reposer le tiroir tout entier sur un
plancher par toute la surface de son fond, rendant inutile la pose de
coulisseaux et épargnant à long terme tout risque d'usure
des bords de traverses intermédiaires. Chez les Hache, ce procédé
technique s'applique même à la traverse des dos de tiroirs, et ce sont les quatre faces du tiroir
ainsi que le fond lui même, tous de niveau, qui glissent sur le plancher, plancher affleurant bien évidemment au bord supérieur des traverses (vous ne le verrez que très rarement sur des meubles dans le style des Hache car ce procédé est inconnu de la corporation des menuisiers et de la plupart des ébénistes de province. On peut le rencontrer sur des faux récents).
Pour mieux se rendre compte, confrontons une commode* de Jean-François Hache dont au premier regard on peut observer la grâce et la souplesse (gardons en mémoire qu'une commode très simple, c'est quelquefois ce qui est le plus difficile à réaliser) :
Documentation Anticstore
avec sa copie :
Documentation Proantic
Ce qui se perçoit par contre ici dès le premier regard c'est que la ligne générale n'y est pas, les courbes sont maladroites et l'ensemble est absolument fade. En s'attardant davantage on verra que, outre que le noyer nous parait un peu juste en qualité :
-
le plateau suit les bords de la commode, perdant ainsi son dynamisme.
-
Les montants sont percés de chevilles.
-
Leur section trop gracile casse complètement la ligne du meuble.
-
le chanfrein au sommet du pied (dans la ligne de la base du tiroir inférieur) est trop grêle.
-
la courbure du pied antérieur n'y est pas du tout.
-
le galbe est absent des côtés.
-
les bordures de tiroirs sont moulurées d'un quart-de-rond, en rupture avec les lignes tout en douceur du modèle.
- les moulures et les pastilles sont noircies "pour faire Hache" mais Jean-François n'avait que très rarement recours à ce procédé sur ce modèle de commode (contrairement au modèle courant de secrétaire) pour la raison qu'il n'était quasi jamais mouluré.
-
la ligne de la traverse basse, et en particulier du tablier, est heurtée et maladroite.
-
la découpe du chantournement des côtés (peu visible ici) symétrique, n'est pas davantage conforme au mouvement asymétrique des gabarits de Jean-François Hache.
Autant dire une commode pour ceux qui ont les moyens d'acheter "bon marché".
* Notons que sur la commode Anticstore nous observons des chevilles à l'attache de la traverse basse. Comme l'explique très justement l'antiquaire ces dernières sont été posées par un restaurateur ignorant du montage de Hache. On verra donc toujours la clé fixée dans la mortaise à l'arasement du montant. |
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