Commode de forme Mazarine en
poirier ondé massif,
à profil en arbalète, galbée toutes faces,
ouvrant par trois rangs de tiroirs sans traverses.
------------------------------
Cette très rare commode de la Vallée de la Rance* est remarquable à plus d'un titre, fabriquée tout d'abord dans un bois que l'on rencontre très rarement, le poirier ondé, elle ouvre par trois tiroirs sans traverses, ce qui est assez exceptionnel pour une commode provinciale. Mais nous sommes ici à l'évidence devant un véritable parti pris artistique, celui d'un artisan probablement installé tout près de Saint-Malo (sinon intra-muros, car beaucoup d'éléments et surtout sa qualité la rattachent à cette cité) mais ne disposant pas ici de "bois des Isles", et se donnant cependant pour défi d'égaler avec un bois indigène les réalisations portuaires en bois exotiques.
Ce meuble est plein d'intérêt, d'autant que le pari est réussi, et d'un bois certes rare mais peu coûteux à l'époque, notre artisan va tirer le meilleur parti, le sublimer même. Il lui a fallu en effet trouver un arbre présentant une anomalie très spéciale (plus rare encore que celle des "loupes" ou des "ronces" et qui en fait aujourd'hui un bois coûteux et très recherché, notamment par les luthiers), un arbre centenaire (comme en témoigne une planche de plateau de 40 cm de large), un arbre sans défauts enfin car il va le scier, non pas "sur dosse" comme à l'accoutumée, mais par une coupe dite "en tranché"** (débit sur quartier), coupe destinée à faire ressortir les motifs figurés qui lui sont ici donnés par le contrefil du bois et dont il joue sur toute la façade, ajustant les motifs au mieux dans une continuité que ne viennent plus rompre les traverses intermédiaires apparentes, puisqu'elles sont ici à dessein habilement et judicieusement dissimulées. Ainsi l'effet obtenu est aussi spectaculaire que si l'on avait affaire à un rare bois exotique tel un Cuba moucheté ou encore un bois serpent.
A souligner également sur cette commode, une élégante forme Mazarine, un plateau épais au bord souligné d'un puissant bec-de-corbin, des côtés galbés et présentant, à l'instar du plateau, les mêmes jeux de figures en contre fil, les palmettes d'acanthe au dessus du précieux pied en patte de lion, le superbe et vigoureux chantournement de la traverse basse (repris en côté) ourlée de sculptures au naturel de branches de palmier avec au centre de ravissants motifs en C et en S pontués de fines volutes qui témoignent avec éloquence du savoir faire de ce menuisier-sculpteur. L'exécution de la sculpture est en effet admirable, le grain fin et serré du poirier s'y prête remarquablement il est vrai, le dessin est d'une belle asymétrie, marquant la fin de la Régence et le début du style rocaille.
------------------------------
* Les signes d'appartenance au pays malouin sont, outre les éléments marquant l'influence anglaise tels que les poignées et entrées de laiton découpé ainsi que les pieds avant en patte de lion enserrant une boule (claw-and-ball), l'absence de traverse entre tiroir supérieur et plateau, les côtés en bombé lisse (dit "en oreiller"), le montage du plateau à crochets, ici doté d'une découpe en emboîtement dans le montant arrière, enfin la coquille Saint-Jacques, également un ornement typique.
** Ajoutons que cette coupe présente un autre intérêt non négligeable, elle donne une grande solidité au bois et diminue considérablement le risque de retrait consécutif au séchage dans le temps (qui cause bien souvent des écartements, des fentes sur les plateaux par exemple, surtout quand les planches sont larges, comme c'est la cas ici, et de même, les planches assez longues des tiroirs demeurent ainsi plus planes dans le temps).
Très bel état d'origine,
quasiment aucune greffe (sinon à un pied arrière),
superbe finition cirée, très belle patine.