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La commode n'apparaîtra qu'à la fin du règne de Louis XIV, et parmi les tous premiers exemplaires figure la paire livrée en 1708 par André-Charles Boulle pour la chambre du roi au Grand Trianon. Conçu par le maître quelques années auparavant, il faut voir ce modèle comme le prototype d'un ébéniste subissant l'influence du maniérisme Baroque dont il ne tardera pas à se défaire (on a vu dans leurs formes ventrues une ressemblance avec celles des sarcophages). Cependant Boulle lui-même, et à sa suite les plus grands maîtres parisiens de l'époque - nous pourrions nommer Antoine Gaudreaus, Nicolas Sageot, Noël Gérard, François Lieutaud, Philippe et Joseph Poitou - vont produire durant toute la durée du règne du roi des commodes aux formes beaucoup plus strictes, droites en élévation et à peine bombées en plan.
Ce n'est donc que quelques années plus tard, à l'époque du Régent, que vont apparaître les commodes galbées en plan et en élévation qui seront nommées durant tout le XVIIIe siècle commodes "à la Régence" (et de même d'ailleurs il faudra attendre 1720 pour revoir des commodes à deux rangs de tiroirs, souvent nommées "à la Cressent").
Le modèle que nous présentons ici, désigné sous le nom de commode "en sarcophage", certainement pour ses quelques analogies avec celui du Grand Trianon, qui possède des formes certes galbées mais à la fois très douces et surtout exclusivement orientées vers l'élévation, initie l'affranchissement de la ligne droite et est à voir comme une étape intermédiaire entre la commode Louis XIV et la commode Régence. Plus rare, plus classique avec ses formes pleines de retenues, ce modèle est d'une ligne à la fois très épurée et très raffinée. On rencontre assez souvent le modèle "en sarcophage" présentant les caractéristiques de la commode dite "à pont" (exemple de la commode attribuée à Noël Gérard de la succession Maria Callas), mais surtout toujours de haute qualité. On retrouve à la fabrication la plupart des maîtres cités précédemment, et en particulier Noël Gérard, les Poitou, François Lieutaud et enfin Louis Delaitre qui pour sa part semble avoir poursuivi plus longtemps, et au delà même de la Régence, la fabrication du modèle (ce sont quasiment les seules que l'on verra parfois estampillées).
Notre commode est coiffée d'un superbe marbre Incarnat Turquin de Caunes-Minervois mouluré d'un bec-de-corbin scié en 32 mm et parée d'une ornementation de bronzes ciselés et dorés de grande qualité. Sur les tiroirs : tirants en torsades (dits "en torchon") et rosaces tournoyantes, petites entrées de serrure aux mascarons féminins rayonnants épaulés de dauphins (d'un modèle peu courant, sinon justement sur les commodes "en sarcophage"), grandes entrées de serrure à coquilles et guirlandes. Sur les montants : importantes espagnolettes féminines à diadèmes en palmettes et chutes florales ajourées (chutes employées par quelques ébénistes dont principalement Noël Gérard mais aussi un autre ébéniste de la Régence, Jacques Denizot, et tel que sur une commode de notre actuelle collection également ornée de semblables sabots), astragales à godrons, sabots en chaussons à fond mosaïqué et feuilles d'acanthe ponctuées de palmettes. Sur les côtés : importants mascarons de Cérès à palmettes, acanthes crispées en rinceaux. Au tablier : large cul-de-lampe formé d'un cartel à fleuron flanqué de rinceaux d'acanthe.
Elle ouvre par quatre tiroirs sur trois rangs et est recouverte d'un placage unique de bois de violette scié sur dosse et en biais et disposé en chevrons, en pointes de diamant et plus particulièrement en ailes de papillons. On y retrouve, sous forme de cannelures de laiton disposés sur les traverses de façade, les traditionnelles divisions horizontales du style Louis XIV.
Si cette commode est toute en élévation, sa silhouette est d'un délié subtil, les tiroirs du premier rang bombés puis légèrement concaves, le tiroir du rang médian bombé puis s'inclinant vers l'intérieur et enfin le tiroir du bas qui semble presque plan mais se creuse inperceptiblement en concavité. Les côtés sont bombés en S, convexes au premier tiers ils se poursuivent en douce concavité. L'attache particulière des chutes d'angle, placée très bas, donne un effet trapézoïdal et renforce le point de fuite vers le tablier.
Le bâti de la commode est pour sa part conforme à celui des plus beaux modèles de la Régence, en conifère de qualité pour l'essentiel (façades des tiroirs, plancher, plafond, planchers intermédiaires et dos), mais en bois durs pour les montants (chêne et frêne) et surtout en noyer* pour la totalité des caissons de tiroirs finement montés à encastrement**. Le montage sans tenons-mortaises mais à queues d'aronde borgnes et sur chants ainsi qu'à rainures pour le fond en planches jointives est également typique de la courte période de la Régence.
Le meuble se présente dans un très rare état de conservation (aucun accident notable à signaler), le placage dans son intégrité et d'une belle épaisseur, avec ses bronzes d'époque délicatement ciselés, son marbre en parfait état, toutes ses serrures anciennes et la plupart d'origine (avec une clé probablement d'époque à anneau en bronze ciselé et tige et paneton en fer), un superbe état d'origine donc, sublimé par une très délicate restauration et un vernissage au tampon effectués par un maître ébéniste. Les bronzes redorés en jeux de mat et de brunis et patinés par notre doreur.
Travail parisien du début de l'époque Régence, vers 1715.
En l'absence d'estampilles et face à un corpus connu de commodes "en sarcophage" très restreint, et sans oublier que quelques ébénistes de cette époque peuvent nous être encore inconnus, il serait aventureux de se risquer à une attribution. Nous pourrions cependant sans trop de risques rejeter Delaitre qui, même s'il utilisait lui aussi les petites entrées de serrure aux mascarons féminins sur ses commode "en sarcophage", les parait de chutes et sabots plus lourds. Demeure Noël Gérard et quelques ébénistes qui ont collaboré avec lui, dont François Lieutaud et très possiblement Jacques Denizot.
LE MEUBLE FRANCAIS ET EUROPÉEN du moyen âge à nos jours - Pierre Kjellberg
Nous nuancerons ce propos car en effet on sait que quelques ébénistes,
dont Criaerd, Denizot, Lieutaud, Mallerot, Garnier, Sageot, ont fait usage
d'estampilles durant la Régence, tracées en grosses lettres abréviatives.
* Propos de l'Etude Berger et Associés tirés du descriptif d'un bureau Régence donné pour "Travail parisien dans l'entourage de Noël Gérard" mais où une possible attribution à François Lieutaud est évoquée : "Le bâti en résineux est caractéristique des fabrications des ébénistes parisiens de la période Régence, habitude de construction issue de la période Louis XIV. Quelques années après les bâtis seront en chêne. L'utilisation de noyer pour la construction des tiroirs de notre bureau témoigne d'une part d'un travail bien parisien et d'autre part d'un travail soigné." Nous ajouterons que son utilisation à cet endroit est un élément de datation d'un meuble comme contemporain de la Régence.
** Rappelons encore que le montage en feuillure dit aussi à encastrement, typique des maîtres parisiens, est signe d'une fabrication soignée et qu'il procure l'avantage de faire glisser le tiroir tout entier sur un plancher sur toute la surface de son fond, rendant inutile la pose de coulisseaux et épargnant ainsi à long terme tout risque d'usure des bords de traverses.
L'Incarnat Turquin / La carrière du Roy :
S'il s'agit d'un marbre rouge du Languedoc, ce marbre, qui figure parmi les plus beaux marbres français, ne doit pas être confondu avec le Rouge du Languedoc.
"Le marbre issu de ces carrières fait l'objet d'un grand intérêt de la part du roi Louis XIV et de ses architectes, qui en fait un matériau privilégié pour ses palais en construction. Le marbre rouge, l' incarnat "de Caunes-Minervois", devient l'un de marbres français les plus connus et prestigieux, du fait de l'harmonie de sa couleur rouge rosé associée à la douceur de ses taches blanches. Il est très employé à Versailles, les pièces les plus connus sont les colonnes et les pilastres du Grand Trianon, on le trouve aussi dans les jardins comme pour une partie des colonnes du "bosquet de la Colonnade". Les encadrements rouges du pavement du dôme des Invalides à Paris sont également en incarnat de Caunes-Minervois. Ce marbre est aussi l'un des seuls marbres français qui s'exportait jusqu'en Italie, qui était le pays du marbre au xviie siècle, et il y devint un marbre très apprécié des architectes et des décorateurs baroques. Ainsi par exemple, on peut le retrouver comme rouge de fond pour certains panneaux dans le décor baroque des piliers de la nef de la basilique Saint-Pierre de Rome, ceux d'où se détachent des colombes en marbre blanc."
Documentation : http://www.marbresenminervois.eu/
Le bois de violette :
Le bois de violette (Dalbergia cearensis) est, de même que le bois de rose, un bois de la famille des palissandres (deux bois d'ailleurs avec lesquels il est très souvent confondu), de couleur violet veiné de noir qui pousse exclusivement au Brésil.
Scié sur dosse (soit parallèlement aux cernes d'accroissement) ou en biais, et dans sa plus belle des qualités, soit tel que l'on peut l'observer sur cette commode, le bois de violette est sans doute l'essence qui se prête le mieux aux jeux de frisages et particulièrement aux effet dits "en ailes de papillon". "Sa structure et son veinage rappellent les bois de palissandre (De Rio et de Santos, ce dernier étant un succédané du bois de violette) mais avec un grain plus dur et un veinage nettement plus fin et élégant." Documentation Les fils de J. George. |
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