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Rare et luxueuse petite commode dite "d'entre-deux" galbée toutes faces.
Ce modèle fort bien architecturé et parfaitement bien équilibré est recouvert d'un très remarquable placage de bois de violette débité sur dosse et disposé en frisages en diamants et en ailes de papillons avec encadrements. Sa façade offre un opulent galbe en arbalète et présente trois tiroirs sur trois rangs séparés par des traverses intermédiaires foncées de cannelures de laiton.
Les montants antérieurs à coins pincés sollicitent un léger galbe en élévation des flancs qui sont ici également galbés en plan. Ils sont reliés par une traverse basse soutenue par deux becquets dont les lignes droites viennent s'infléchir et se chantourner pour former le large tablier central.
Les côtés en quatre feuilles combinent le débit oblique et sur maille et leurs frisages figurent une croix grecque, des ailes de papillon et des demis diamants.
Elle est coiffée d'un marbre rouge des Flandres au pourtour mouluré d'un bec-de-corbin épousant les formes de la commode.
L’ensemble est enrichi d’une précieuse garniture de bronzes dorés d'origine où se déploie avec souplesse un riche répertoire naturaliste composé principalement de motifs en ailes de chauve-souris et de mouvements "en C" godronnés. A souligner la qualité des bronzes qui est à hauteur de celle du placage, modèles ajourés, bien repoussés puis adoucis par une très délicate ciselure et, pour parfaire le tout, encore dans leur rare et superbe dorure d'origine à l'or moulu.
Enfin la qualité du bâti est à la mesure de celle du décor, fait de belles planches de sapin avec fonçures des tiroirs en hêtre et leurs fonds en noyer, profonds planchers intermédiaires sur lesquels coulissent les tiroirs montés à encastrement.
Le mouvement en arbalète, né à la Régence (qui se rencontre à Paris essentiellement sur les commodes de maîtres), l'ordonnance encore symétrique éveillée par une légère asymétrie, la présence de cannelures de laiton, la signature d'un ébéniste né en 1675 (et dont nous avons la certitude qu'il avait le statut de Maître ébéniste en 1714), l'absence de poinçon de Jurande, les essences du bâti (sapin et noyer)* et le montage à queues d'aronde borgnes confirment une datation absolument contemporaine de la Régence.
Ce modèle est donc "pleine époque"**, très élégant et propre à meubler les petits salons il perdurera sous Louis XV (et ainsi nous voyons ci-dessous l'ébéniste Mondon reprendre, quelques décennies plus tard, les modèles de Mallerot ou de Lieutaud).
* « Le bâti en résineux (essence composant notre bureau) est caractéristique des fabrications des ébénistes parisiens de la période Régence, habitude de construction issue de la période Louis XIV. Quelques années après les bâtis seront en chêne.
L'utilisation de noyer pour la construction des tiroirs de notre bureau témoigne d'une part d'un travail bien parisien et d'autre part d'un travail soigné : meuble de commande. »
Propos de l'Etude Berger et Associés tirés du descriptif d'un bureau plat Régence donné pour "Travail parisien dans l'entourage de Noël Gérard" circa 1720
** Car, pour le dire sans ambages, il n'est sans doute pas une commode sur dix, prétendue de l'époque Régence (par les différents intervenants du marché de l'art***), qui le soit réellement.
*** Rien de mieux pour parfaire d'illustrer notre propos que ce que nous lirons (un peu après avoir vendu notre commode) sous la plume de l'expert Alain Romieux "Titulaire d'une Maîtrise en Histoire de l'art et d'un Master Européen Marché de l'Art (E.A.C)", passé "par Drouot Formation (où il acquiert auprès des experts reconnus une solide connaissance des Arts décoratifs du XVIIIe et XIXe siècles)" entré en 2014 "comme Elève Expert à la Chambre Nationale Des Experts Spécialisés (C.N.E.S.)" et qui "collabore régulièrement avec les maisons de ventes telles que Christie's, Artcurial, Ader, Nice Riviera, Versailles Enchères"... Et accessoirement antiquaire sous le nom bien (bien) ostentatoire de "Lux Antiques" sur prout...(oups! Pardon) proantic.
Je cite sans commentaires : "Travail Lyonnais d’époque Régence circa 1740-1750."
Le meuble se présente dans un superbe état d'origine (aucun accident notable à signaler), avec tous ses bronzes d'époque, son marbre d'origine et non accidenté d'une épaisseur de 26 mm ainsi que ses trois anciennes et semblables serrures (une clé en bronze ciselé et doré), un état d'origine sublimé par une très délicate restauration et un vernis au tampon effectués par notre ébéniste (Mathieu Vath, que nous remercions au passage pour n'avoir absolument rien négligé sur ce meuble).
Estampillée (deux fois) du monogramme M M pour Michel Mallerot.
Double grande estampille MM aux angles de chacun des montants antérieurs.
Travail parisien de la fin de l'époque Régence.
Vers 1720 - 1725.
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Michel Mallerot (1675 - 1753) est un ébéniste parisien encore peu connu, comme nous le sont encore les ébénistes du début du XVIIIe siècle. Il est sans doute mentionné pour la première fois dans l'édition de 1927 de l'ouvrage du Comte de Salverte : Les Ébénistes du XVIIIe siècle. Leurs œuvres et leurs marques (corpus corrigé et complété) et Pierre Verlet le cite dans la nomenclature des ébénistes de la seconde édition de son ouvrage : Les meubles français du XVIIIe siècle parue en 1982.
Rappelons qu'en effet ce n'est qu'à partir de 1743, suite à la promulgation des corporations, puis de l'édit de 1751 que les ébénistes se voient dans l'obligation d'estampiller leurs meubles. De plus, les plus grands ébénistes travaillaient souvent pour les marchands merciers ou la couronne et dans ces deux circonstances n'étaient pas tenus d'estampiller.
Ainsi il fut, avec Sageot, Gaudreaux, Doirat, Lieutaud, Garnier et quelques autres, l'un des premiers à estampiller, et de ses simples initiales au tracé large comme l'étaient souvent les premières estampilles. Une commode de nos anciennes collections, portant de même son estampille mais avec l'ajout de sa signature tracée "à la rubrique" sous le marbre, est venue corroborer de manière définitive l'attribution de ces initiales MM à Michel Mallerot.
S'il convient d'évoquer le problème des estampilles
abréviatives, qui a rendu plus délicate la paternité des ouvrages, il y a certes un parallèle à faire avec l'ébéniste François Lieutaud (qui signait FL) dont nous avons actuellement également un modèle Régence mais aussi François Garnier (qui signait FG) et Mathieu Criaerd (qui signait MC sous la Régence), tous ébénistes nés à la fin du XVIIe et travaillant bien avant que l'estampille ne soit en usage, et tous (hormis Criaerd qui signa par la suite de son nom) découverts depuis peu. Dans ce contexte, nous citons souvent le cas d'une dynastie entière de très grands ébénistes parisiens et fournisseurs de la couronne, les Bernard (I-II&III) Van Riesen Burgh (ou Van Risenburgh ou encore Vanrisamburgh) qui signaient BVRB et dont le nom n'est sorti de l'ombre qu'en 1957 grâce aux travaux de Jean-Pierre Baroli, alors élève de Pierre Verlet à l’École du Louvre.
L'art et la manière des ébénistes français au XVIIIe siècle - Jean Nicolay
Les Ébénistes du XVIIIe siècle. Leurs œuvres et leurs marques. - Comte de Salverte
En référence à ce texte, et sans doute par lecture trop hâtive conduisant à une mauvaise interprétation, nous avons pu lire que Michel Mallerot aurait été reçu maître ébéniste en 1740. A l'âge de 65 ans il aurait battu le record du plus vieux postulant à ce titre. En vérité, nous ne connaissons pas la date de son accession à la maîtrise, Verlet (ci dessous) ne l'indique pas davantage et Salverte reprend ici un texte ancien qui pourrait être une entête de lettre par exemple et ainsi donc Michel Mallerot n'était ni davantage bourgeois ni davantage ébéniste après 1740 qu'avant. Etant français, ce qui n'était pas sans avantages, et vu sa date de naissance, nous pouvons bien plutôt présumer d'une accession à la maîtrise dans les toutes premières années du XVIIIe siècle.
Les meubles français du XVIIIe siècle - Pierre Verlet
Des recherches complémentaires (en partenariat avec notre ébéniste) nous ont permis tout d'abord d'en apprendre un peu plus sur cet ébéniste : une précision sur son adresse, située « rue de la Roquette à gauche entre l'emplacement de l'Arquebuse et la Voierie ». Il épousa une certaine Mellot Marie et eut une descendance (on trouve la trace d'un fils menuisier ou ébéniste). Mais le plus intéressant est un acte daté de 1714 cité comme « concerné par un alloué entre ledit et Cibot Nicolas, pour un contrat de deux ans et demi, acté le 16/5/1714 ». Archives nationales. Minutier central des notaires de Paris. Fichier des artisans du XVIIIe siècle. Nous apprenons par là que l'ébéniste employa un compagnon à cette date. Daniel Alcouffe dans son ouvrage Les artisans décorateurs du bois au faubourg Saint-Antoine sous le règne de Louis XIV l'avait également signalé et nous en apprend davantage : en 1696 "Mallerot est le maître de Jacques Brequigny. Il prend encore en alloué : en 1695, Pierre Marselet, du faubourg, pour sept ans; en 1698, Vincent Genty (...); en 1699, Gabriel Bucquet (...); en 1700, Charles Lecomte (...); en 1706, Philippe Donjard (...); en 1714, Nicolas Cibot." Tout ceci nous suggère que Mallerot fut reçu maître, sinon même avant 1696, au moins dans la première décennie du XVIIIe siècle.
On retrouve quelques traces en 1740 « cité lors d'un désistement de plaintes et arrangement à l'amiable entre ledit et Réveillat Jean, chaudronnier » et cette même année concernant « une élévation de maison » puis enfin « lors de la vente de maison actée le 15/02/1756 par ledit, moyennant 6.000 livres fait à Poupon Gaston, marchand papetier ».
Plan de Turgot datant de 1740
Mallerot avait donc son atelier à deux pas de l'ancienne Porte Saint-Antoine et non loin de la Bastille.
On voit ici les fortifications, la rue de Lappe et de la Contrescarpe (aujourd'hui boulevard de la Bastille),
l'ancien "Champs de tir de l'arquebuse", jardin servant de lieu d'entrainement aux arquebusiers de Paris.
Si nous n'avons pas (et peut-être pas encore) connaissance de modèles de commande pour la très haute aristocratie parisienne ou la couronne fabriquées par cet ébéniste, il travaillait visiblement cependant pour une riche clientèle parisienne, et les commodes que nous lui connaissons, contemporaines et proches de celles de François Garnier ou d'Étienne Doirat, par leur qualité de fini, la beauté de leurs placages et les ciselures de leurs bronzes, n'ont rien à envier aux fabrications de ces deux grands maîtres. Cependant, peu après nous découvrons une très spectaculaire commode de l'époque Louis XV vendue chez Sotheby's qui vient corroborer nos propos et que nous ajoutons en documentation. |
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