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COMMODE LOUIS XIV
"AU GRAND MASQUE DE CÉRÈS"
PAR THOMAS HACHE


 
 

Commode Louis XIV par Thomas Hache vers 1715

 

 

 

 

 


Commode Louis XIV à dessus bois dite "à consoles rapportées"

en marqueterie de palissandre du Brésil et de noyer des Alpes

parée d'une exceptionnelle ornementation de bronze doré.

Par Thomas Hache, ébéniste du duc d’Orléans.

Grenoble vers 1715.

 

 

Très rare commode à façade bombée et dessus bois cerné d'une lingotière, ouvrant à trois tiroirs sur trois rangs, les traverses intermédiaires foncées de cannelures, les montants avant en encorbellements de consoles renversées sommés de pans coupés à pilastres cannelés, les montants arrière à décrochement également foncés de deux glyphes.

Le bâti en sapin est recouvert d'une marqueterie de palissandre en façade, en frisage en fougère encadré de larges filets, et sur les côtés d'un placage de noyer en frisage tandis que le plateau est revêtu d'une marqueterie en bois de palissandre à motifs géométriques de cercles et demi-cercles à réserves en ailes de papillons de part et d'autre d'un large motif quadrilobé aux contours en aubier clair.

Elle est agrémentée d'une très riche ornementation de bronzes ciselés et dorés (et de laiton poli pour la lingotière et les onze cannelures) empruntée à la mythologie classique : mains pendantes à platines à têtes de bélier ajourées de feuillage entrelacé, entrées de serrures au masque d'Apollon enrubanné (symbole du Roi Soleil, modèle de François Lieutaud et de Nicolas Sageot), petits mascarons d'Apollon sur culots, écoinçons de tiroirs à petites coquilles Saint-Jacques épaulées de crossettes, chapiteaux à enroulements en tors piqués de rosaces, chutes de montants en culots à rinceaux de muguet amortis de bustes féminins, coquilles en palmettes et chutes à volutes sortantes, en côté très importants mascarons de Neptune, et enfin parements de pieds à entrelacs de mouvements en C et important cul-de lampe au masque de Cérès dans un cartouche déroulé, le tout flanqué de larges volutes d'acanthe crispée.

Commode Louis XIV par Thomas Hache à consoles rapportées en marqueterie et placage

Sont donc représentés sur cette exceptionnelle commode de Thomas Hache :
en partie centrale, le dieu du soleil et de la lumière,
en soubassement, la déesse de la terre et des moissons,
en côtés, le dieu des mers et des océans.

Rappelons qu'elle est datable des environs de 1715, ce qui n'est pas négligeable,
du moins si l'on considère que les premiers meubles apparus en France ayant
l'apparence d'une commode sont la paire de "bureaux commodes"
livrés en 1708* à Louis XIV par André Charles Boulle.

 

 

Thomas Hache** (1664 - 1747), maître en 1701, est le fils de l'ébéniste toulousain Noël Hache dans l'atelier duquel il débute un apprentissage qu'il poursuit plus tard comme compagnon à Paris puis dans le Duché de Savoie. C'est son mariage avec la fille de l'ébéniste grenoblois Chevalier qui décide de son installation définitive dans le Dauphiné. Il reprend ainsi l'atelier réputé de ce dernier, situé rue Neuve à Grenoble, atelier qu'il développe et dont il élève la renommée jusqu'à s'attirer la faveur du jeune Louis d'Orléans qui se concrétise par l'octroi en 1721 d'un brevet de Garde et Ébéniste de Monseigneur le Duc d'Orléans, ce qui lui ouvre toutes grandes les portes vers la clientèle aristocratique. Son œuvre restera influencée par les marqueteries italiennes et par celles d'André-Charles Boulle, avec un souci constant d'y mettre en valeur les bois des Alpes. Son fils Pierre travaillera avec lui jusqu'à sa mort et son petit fils Jean-François fera une partie de son apprentissage à ses côtés.

 

 

* Information à retenir pour celles et ceux qui prétendraient posséder une commode française datant du XVIIe siècle...

** Précisons, s'il en était besoin, que notre commode est un meuble de Thomas Hache, fabriqué dans son atelier, et non, tel que nous pouvons le lire de ci de là (cahin caha) par exemple : un meuble "attribué à Thomas Hache... à rapproché (sic) du travail de Thomas Hache" ou "attribué à Thomas Hache... un ensemble d'éléments caractéristiques de la manière de Thomas Hache et de certains de ses contemporains" ou encore "attribuable à Thomas Hache".
La première personne à s'intéresser à cette commode, et qui avait eu vent des estampilles et des étiquettes, nous ayant demandé comment nous pouvions garantir que cette commode était bien des Hache en l'absence des ces éléments, nous préciserons donc également que cette expertise est à la fois technique (ce qui s'acquiert après de nombreuses années d'expérience et d'observation... Mais s'il n'était que cela... Ajoutons-y un brin d'humilité et surtout beaucoup de passion) et quasi immédiate car comme l'a si bien écrit Pierre Rouge : "En fait, un meuble sorti des ateliers Hache n'a pas besoin d'estampille, tant les caractéristiques de leur production se suffisent à elles-mêmes.". On fera bien par ailleurs de se méfier des estampilles puisqu'il en circule de fausses, et depuis fort longtemps, et de même pour certaines étiquettes d'ailleurs (ainsi que de vraies estampilles et de vraies étiquettes sur des meubles faux, et de fausses estampilles et fausses étiquettes sur de vrais meubles des Hache). Rappelons enfin que pour sa part Thomas Hache n'a jamais posé la moindre étiquette et qu'il a très rarement fait usage de son estampille "HACHE A GRENOBLE" sur une commode.

 
 
 
 
 
 
 
 

Son vernis au tampon est un véritable miroir, ceci explique les inévitables et nombreux reflets sur les photographies, reflets qu'il convient de ne pas confondre avec des défauts des bois et des teintes du placage et de la marqueterie. De même la différence de coloration entre la façade et les côtés est quelque peu accentuée par la lumière studio.

 
 
Dimensions : 85,5 cm de haut x 133,5 cm de large x 69,5 cm de profondeur.
 
 
 
 

Commode d'époque Louis XIV par Thomas Hache à consoles rapportées

 
 
 
 
 
 
 
 

Commode Louis XIV par Thomas Hache en placage et marqueterie de palissandre du 18e siècle

 
 
 
 
 
 
 
 

Commode Louis XIV d'apparat  par Thomas Hache en placage et marqueterie de palissandre du XVIIIe siècle

 
 
 
 
 
 
 
 

Commode Louis XIV d'apparat de l'ébéniste grenoblois Thomas Hache

 
 
 
 
 
 
 
 

Commode en D Louis XIV palissandre et bronzes dorés

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
   bronzes ciselés et dorés  sur commode de Thomas Hache  
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
   
 
 
 
 
 
 
 
DOCUMENTATION
 
 

La principale singularité des Hache, la plus déterminante à leur réputation, est d'être les seuls ébénistes de province à avoir égalé les plus grands maîtres parisiens. Nous avons pu lire "surpassé" (par une "jeune historienne de l'art" qui se contente de reprendre les écrits de Pierre Rouge, de Marianne Clerc et de René Fonvieille en les amalgamants "à sa sauce" sans rien apporter de nouveau, et qui de plus vient légender les meubles de "jeunes antiquaires" qui ne sont pas absolument pas de la main de Thomas Hache) mais il conviendrait tout de même de garder la tête froide. D'un point de vue d'ébénisterie pure, c'est sans doute Thomas qui se sera le plus rapproché des modèles de la capitale avec ses commodes mazarine dites au Jasmin à la manière d'Aubertin et de Renaud Gaudron et ses modèles bombés traités à la manière des Gaudron mais aussi de François Lieutaud. Sur cette commode, tant le choix du palissandre du Brésil que la luxuriance de l'ornementation, rares chez les Hache, démontrent la volonté de Thomas d'être au plus près des grands maîtres de la capitale. Mais s'il est bien entendu influencé par le goût et le savoir-faire parisien, ses commodes, marquées par sa forte personnalité (pourquoi ne pas dire son génie créatif, pour reprendre un terme de l'intitulé de l'ouvrage de référence) sont parfaitement reconnaissables et ce modèle, issu du classique modèle "en D" enrichi d'une large console en saillie à l'avant (inspirée du Baroque italien) et d'un décrochement à l'arrière, lui est même particulier.

 


Ci-dessus quatre commodes Louis XIV attribuées ou attribuables à François Lieutaud.

 

On remarquera la très riche ornementation de bronze de ces modèles parisiens où nous retrouvons tout un répertoire commun : cannelures de laiton horizontales (3-4) et verticales (1-2-4), plateau à décrochement arrière (4) et ourlé d'une lingotière (3-4), encadrement de tiroirs à écoinçons (1-2-3), semblables entrées de serrures au masque d'Apollon (4), petits mascarons féminins au dessus des poignées mobiles (1-2), larges tabliers (1-3), bronzes sur les montants arrière (1) et opulents masques ornant les panneaux des côtés (1-2-3?-4). A noter que l'on retrouve le même modèle de coquille aux écoinçons des commodes 1 & 3 à la base des consoles et des pieds arrière de notre commode.

 


Autre commode Louis XIV attribuée à François Lieutaud - Vente Sotheby's du 09 novembre 2012.

 

On observe un certain nombre de ressemblances entre les bronzes de cette commode de François Lieutaud et de la nôtre : coquilles-écoinçons à volutes exactement similaires encadrant chez Lieutaud les entrées de serrures et posées aux angles des tiroirs chez Hache, coquilles stylisées ici posées au centre des pieds semblables à celles posées aux bases des consoles chez Hache, feuilles d'acanthe sur les pieds avant des deux commodes également très proches. Il semble même y avoir une similarité entre les grands mascarons des côtés (hélas peu visibles sur ce cliché).
Car si nous devions rechercher les modèles d'inspiration de Thomas Hache, c'est bien du côté de François Lieutaud (pour nous il ne fait guère de doute que Thomas Hache se fournissait en garnitures de bronze chez Lieutaud) qu'il conviendrait de regarder, mais aussi d’Étienne Doirat (notamment pour un certain nombre de bronzes, ces deux ébénistes cités ayant d'ailleurs le rare privilège de fondre leurs propres modèles) et non pas de François Mondon comme il l'a été dit, en se référant mal à propos à l'ouvrage de Pierre Rouge (en effet il suffira de lire que le nom de Mondon est cité avec celui de Carel, qui fut apprenti chez Thomas Hache. C'est donc une influence qui s’exerce à l'inverse que Rouge entendait souligner). Et quand bien même nous tenons Mondon en haute estime (étant en cela moins critique que Jean Nicolay), nous ne prétendrons pas qu'il fut un inventeur tel que le fut Lieutaud, ébéniste d'une autre stature (ainsi que Thomas Hache lui-même d'ailleurs). Ajoutons enfin que Mondon, qui n'a accédé à la maîtrise que vers 1730, n'a tout simplement pas fabriqué de commodes Louis XIV. Il est d'une autre génération et en 1715 (date correspondant à la fabrication de notre commode) alors que Thomas Hache à acquis sa pleine maturité d'ébéniste (il a 51 ans, Lieutaud 50 et Doirat 40), Mondon est encore un tout jeune homme (de seulement 21 ans) à l'âge de l'apprentissage. Que ce dernier ait été inspiré par Thomas Hache, la chose serait donc par contre envisageable (et d'autant que Mondon est originaire d'une famille d'artisans du Dauphiné), mais le contraire est tout simplement chose impossible.

 
 
 
 
 
 
 
 

Dans le cadre du descriptif d'une précédente commode de Thomas Hache nous avions souligné que, contrairement à ses successeurs et à de rares exceptions près, il n'aura quasiment travaillé qu'en ébénisterie pure et que pour l'aristocratie. Artiste novateur, il vouait à son travail une véritable passion et c'est elle sans doute qui le poussait à ne jamais se répéter mais à se renouveler chaque fois, ceci étant peut-être plus encore perceptible concernant les premières décennies de son activité à Grenoble. Ainsi en est-il pour notre commode, unique mais cependant reconnaissable du fait tant de la forte personnalité artistique que de la maestria technique de son auteur. La commode étudiée ici est bien également unique tout en étant aisément rattachable au corpus des modèles dits "à consoles rapportées" fabriqués entre 1715 et 1720 que nous sommes tenté de nommer "au grand masque de Cérès". Nous trouverons ainsi dans l'ouvrage Le génie des HACHE une commode lui faisant écho, illustrée planche 93 et nous ajouterons en documentation deux autres commodes référantes connues.

 
     
 
 
 
 
 
Meubles référents parmi le corpus de commodes
produites entre 1715 et 1720.
 
 
1
 
   
 
Provenance ancienne collection Pandéris / Modèle très proche de notre commode.
A noter qu'à la date de parution de son ouvrage (2005) Pierre Rouge la donne donc pour "modèle de commande",
ce qui laisse entendre qu'il perçoit tout comme nous le caractère élitiste de cette commode et sans doute qu'à l'époque
il n'a pas connaissance d'une seule autre commode semblable, ceci conjecturant de la rareté du modèle.
 
 
 
   
 
Ornementation de bronze des montants et des pieds exactement identique, semblables platines de poignées
(modèle délicatement ajouré rarement usité chez les Hache) mais ici entrées de serrures aux sphinges.
On note toutefois un mascaron différent au tablier, l'absence de bronzes aux écoinçons des tiroirs et en côtés.
 
 
 
 
 
 
2
 
 

 
 
Provenance ancienne collection Marcel Puech / Garniture de bronze beaucoup plus sobre mais apparition du grand masque de Cérès.
propre à Thomas Hache. Entrées de serrure cette fois aux Bacchus et tiroirs encadrés d'une moulure baguette de bronze très pari-
sienne, mais cependant on constate à nouveau l'absence de mascaron sur le flanc et de bronzes sur les pieds arrière à décrochement.
 
 
 
 
 
 
3
 
 

 
 
Cette commode, passée dans diverses ventes publiques (à tel point qu'elle aurait pu nous faire croire que le modèle est commun)
est manifestement la plus proche de notre modèle, avec cette même particularité des bronzes "en ailettes" placés aux écoinçons
des tiroirs (d'un modèle déjà rencontré sur une commode de François Lieutaud mais jamais sur d'autres commodes des Hache).
 
 
 
 

 
 
On retrouve ici les classiques entrées de serrures aux sphinges adossées tandis qu'une nouvelle fois
le large tablier au (grand) masque de Cérès est semblable à celui de la commode Puech et de la nôtre.
 
 
 
 

 
 
Comme pour la commode Pandéris, on remarque que l'ornementation de bronze du montant et du pied est
absolument à l'identique et on constate derechef l'absence de bronzes sur les côtés et les montants arrière.
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
Notre commode (en haut à gauche) illustrée au côté des trois autres modèles véritablement référents.
 
 
 
 

Cette confrontation permet de prendre la mesure du supplément d'excellence de notre commode, plus fastueuse en effet par sa garniture toutes faces (ornementation des montants arrière, des panneaux de côté ainsi que des faces externes des consoles des montants avant).
De plus, à la semblable luxuriance en façade de la commode 3, elle ajoute, outre la finesse des platines de poignée du modèle 1, de petits mascarons placés au dessus des poignées mobiles.
Nous ne saurions toutefois ignorer l'existence d'une dernière commode, la seule à partager le fastueux complément d'ornementation de bronze en côtés, passée sur le marché de l'art, mais avec selon nous sans nul doute un plateau rapporté, et c'est pourquoi nous dirons que notre commode se révèle pleinement souveraine parmi les modèles dits "à consoles rapportées".

 
 
 
 
Les commodes de Thomas Hache sont en effet très rarement ornées de bronzes en côtés, nous nous en retrouvons cependant deux autres (détails tirés de l'ouvrage de référence Le génie des HACHE, planches 85 et 96) :
 
 
 
 
 
 
On voit en effet sur celle de gauche une large baguette, sur celle de droite un grand mascaron.
 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 

Commode que l'on pourrait presque attribuer au même corpus (tiroir affleurant sous le plateau), mais on constate que ce modèle, dont il existe d'autres exemplaires, est déjà simplifié, le pied plus lourd et le tablier absent, et enfin et surtout la garniture de bronze bien moins opulente. Le large bronze en rinceaux recouvrant les pieds de cette commode, quasi inconnu sur les modèles de Thomas, sera par la suite maintes fois visible au tablier des commodes de Pierre Hache (dans l'atelier de son père) dans les années 1730 - 1740, et de même pour la chute de bronze entre les cannelures que nous retrouverons sur nombre des commodes suivantes. (Ceci confirmant l'éventualité d'une attribution du modèle 2 - documenté plus bas - à Thomas et Pierre Hache). Il ne fait cependant pas de doute que cette commode est un peu plus tardive que les modèles précédents et on peut voir en elle une étape intermédiaire entre le premier et le second modèle que nous nous proposons d'illustrer ci-après.

 
 
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 

Intéressons-nous toutefois au préalable à une commode qui semble être complètement passée inaperçue, en ce sens qu'elle n'a pas été identifiée, et en effet Pierre Rouge ne la mentionne pas, bien qu'elle figure dans un ouvrage de 1966, "Meubles et Ensembles" Époques Louis XIII et Louis XIV, édité chez Massin, dans lequel elle est présentée comme une commode Louis XIV parisienne, et il en sera de même lors de son passage plus récent en vente publique chez Rouillac. Cette commode, du fait de son style très parisien, n'avait donc pas été attribuée à Thomas Hache, mais nous savons que Hache a utilisé vers 1710-1715 la marqueterie Boulle (voir Le Génie des Hache / planche 72) et nous reconnaissons ici, outre la manière du pied avant et du montant arrière à ressaut, toute la panoplie des bronzes d'ornement de Thomas Hache (et en particulier les agrafes de pied en entrelacs de mouvements en C et de tablier au grand masque de Cérès dans un cartouche déroulé, ceci venant confirmer qu'il en avait la quasi exclusivité puisque lorsque nous rencontrons une commode présentée comme parisienne ornée de ces deux modèles de bronzes particuliers, nous sommes bien en vérité confrontés à une commode de Thomas Hache). A propos encore du masque de Cérès comme élément récurrent il convient de noter que Thomas et Pierre en ont sculpté comme élément central au tablier de diverses tables en console Régence en noyer (voir Le Mobilier Savoyard et Dauphinois / Massin et Quand les Hache meublaient Longpra / Glenat).


Détail de la table en console de Longpra

 
 
 
 
 
 
 
 
Corpus de commodes
produites entre 1725 et 1730.
 
 
 
 
Précisons en effet qu'il existe un autre modèle de commode, illustré planche 102 dans Le génie des HACHE, et dont Pierre Rouge nous dit qu' "elle s'en rapproche beaucoup".
La première observation que nous pouvons faire est que ce second modèle se distingue par une traverse sous le plateau comme le souligne Pierre Rouge, qui le date dès lors plus tardivement (vers 1725-1730), soit conjointement à l'apparition des marbres dans la production de Thomas Hache. En confrontant les deux modèles on ne peut cependant négliger de remarquer que les découpes des pieds ainsi que celle du tablier diffèrent complètement, le second modèle n'ayant indiscutablement pas la souplesse de ligne du premier. Mais c'est surtout la différence de l'ornementation de bronze qui nous frappe, le second modèle ne pouvant incontestablement prétendre à l'apparat de celui d'avant 1720.
 
 
 
 

 
 
(Il est décrit ici un petit masque de Cérès qui ne doit pas prêter à confusion avec les deux autres que nous comparerons.)
En dessous, en moustaches à la base du tablier, il est deux bronzes exactement semblables à ceux figurant sur les bases
(pieds et tabliers) des commodes du modèle 1. Nous ne trouverons cependant pas d'autres bronzes communs aux modèles 1 et 2.
 
 
 
 

 
 
Si on devait comparer les bronzes de cette commode et de la nôtre, on n'en trouverait pas un seul de commun.
Le chapiteau est toutefois très ressemblant, mais à y regarder de près on constate que les boucles aux extrémités diffèrent.
 
 
 
 

 
 
Sur ce modèle, le masque de Cérès au tablier fait son apparition, mais il s'agit d'un motif en réduction du grand mascaron.
Spécifions bien toutefois que Thomas Hache a utilisé l'un et l'autre sur ses commodes dès les années 1715, ce dernier étant
beaucoup plus commun alors que le grand mascaron
aura exclusivement habillé les tabliers des commodes du modèle 1.
Précisons encore qu'un bronze proche de modèle habille le tablier de certaines commodes de François Lieutaud.
 
 
 
 

 
 
On le retrouve ici les entrées de serrure aux sphinges et de semblables poignées
(De nombreuses platines accidentées ainsi que les deux poignées du centre rapportées sur la précédente).
Sera reproduite dans le second tome de l'ouvrage Le génie des HACHE.
 
 
 
 

 
 
Et là encore, et il faut avouer qu'il est peu de variations entre cette commode et les deux précédentes, entrées de serrure,
poignées et cul-de-lampe identiques. Les Hache jouent simplement sur le placage et les bronzes ornant les montants.
 
 
 
 

 
 
Commode absolument identique (mais ce n'est pourtant pas elle) au modèle de l'ouvrage Le génie des HACHE.
Comme nous le suggérions, la volonté de créer chaque fois des commodes uniques semble moins affirmée
sur le modèle 2 qu'elle ne l'était pour celui, en tous points plus élitiste, des années antérieures à 1720.
 
 
 
 

 
 
Retour ici du cul-de-lampe au masque de Céres, fait d'une seule pièce, moins complet dans sa partie centrale.
Il s'agit d'un modèle plus commun, que l'on rencontre sur de nombreuses commodes de Thomas et Pierre Hache.
 
 
 
 

Un ouvrage récent, intitulé L'ébénisterie provinciale en France au XVIIIe siècle, fort intéressant, notamment concernant les meubles de Lyon et de Montbéliard, mais qui n'est pas exempt par ailleurs de quelques approximations, tend à remettre en cause l'attribution de ce dernier modèle aux Hache. On peut en effet se poser la question. Dans ce livre, les auteurs présentent ainsi deux commodes "à consoles rapportées" et traverse sous le plateau et, soulignant une parenté avec les modèles lyonnais, proposent une possible attribution à un ébéniste hollandais établi dans cette ville ou encore à Mondon de Grenoble (bien que, et les auteurs eux-mêmes en conviennent, ce dernier chevillait ses dos de commodes de manière conventionnelle et non pas tel que les Hache). Il semble que le propos ne soit pas suffisamment étayé (ou mal, comme par exemple quand il nous est dit que le poinçon au R couronné figurant par coïncidence sur les bronzes des deux commodes illustrées tendrait à corroborer l'origine Lyonnaise. Hors d'une part ce poinçon nous l'avons trouvé sur des poignées en laiton coulé indiscutablement malouines, et même si nous admettrons qu'il semble bien en effet particulier à une région que nous délimiterons au nord par le département du Rhône, mais au sud par celui de l'Isère et d'ailleurs nous ajouterons que statistiquement, nous avons dans notre carrière plus souvent trouvé ce poinçon sur des commodes grenobloises (et même plus particulièrement de Pierre Hache datables des environs de 1730) que sur des commodes lyonnaises. Aussi nous remercions les auteurs car leur observation tendrait donc plutôt à fortifier notre proposition d'attribution du modèle 2 pour partie à Pierre Hache), loin d'être assez probant donc pour remettre en cause l'attribution établie par Pierre Rouge.
Certes les Hache ont énormément inspiré d'autres ébénistes, mais il conviendrait cependant de ne pas négliger qu'ils sont eux-mêmes les artisans d'une production importante, et ainsi, en l'absence de documents nouveaux et convaincants, nous nous devons d'attribuer aux Hache celles que nous avons ici désignées sous le terme de modèle 2. D'ailleurs on peut présumer que si ces commodes étaient sorties de l'atelier d'un ou plusieurs ébènistes autres que les Hache, il ne manquerait pas de s'en trouver, ou avec des dos chevillés, ou avec absence de feuillure de tiroir (au moins sur l'arrière de celui-ci) ou enfin avec des plateaux plaqués de motifs (tels qu'étoiles, roses des vents, croix huguenotes, cœurs ou autres "fantaisies") ne correspondant pas aux tracés géométriques des Hache, comme c'est le cas pour un grand nombre de commodes Louis XIV simplement bombées. Il nous semble qu'il y ait suffisamment d'erreurs commises à l'inverse, avec quantité de meubles sur le marché attribués effrontément aux Hache, sans y ajouter celle d'attribuer à d'autres ce qui sans doute appartient effectivement à leur production. Cependant si le premier modèle, plus rare et plus exclusif, peut être donné sans contestation à Thomas Hache, le second modèle, un peu plus tardif, devrait l'être à Pierre et Thomas Hache travaillant au sein du même atelier, il nous suggère, même si la qualité demeure parfaite, une impression de production déjà moins confidentielle. Il est en tous cas une chose qui nous interroge, c'est qu'en faisant abstraction des poignées et entrées de serrures on ne retrouve pratiquement aucun bronze exactement commun au premier et second modèle, y compris la petite chute de muguet (nous constaterons en y regardant de près que sur le modèle 2 elle est plus longue et plus grossière). Demeure tout de même l'enroulement placé à l'amortissement des montants antérieurs (toutefois parfois diffèrent par le motif des rosaces encastrées) et enfin et surtout les deux volutes ou rinceaux d'acanthe du tablier de la première commode illustrée.

 
 
 
 

 
 
Exemple de commode (pourtant attribuée à Thomas Hache par les experts de Sotheby's) d'origine grenobloise.
Pour voir d'autres commodes de ce type (simples grenobloises attribuées à Thomas Hache)
se reporter aux catalogues de Proantic ou de l'hôtel des ventes de Chantilly (Oise enchères).
 
 
 
 

 
 

Pas mieux avec cette commode en vente à Zurich chez Koller.
Notons qu'on y réussit le tour de force de nous dire qu'elle est peut-être de la Vallée du Rhône mais probablement de Hache (?)
et on finit par trouver à l'appui une commode dans le livre de Pierre Rouge qui lui ressemble vaguement
(comme en effet une commode Louis XIV se doit de ressembler à une autre commode Louis XIV et tel que,
par exemple, le break Skoda ressemble -de loin- au break Mercedes, ce qui est normal puisqu'il s'en inspire).

 
 
 
 
 
 
 
 

EXAMEN TECHNIQUE D'AUTHENTIFICATION
ET APERCUS SUR LA RESTAURATION.

Dossier en collaboration avec notre ébéniste,
Jean-François Plumier (atelier Le tarabiscot).

 
 

Au premier examen de cette commode à dessus de bois nous avons observé qu'elle se présentait dans son intégrité de placage (une petite greffe sans gravité à la base du côté gauche et rien d'autre de notable à signaler) et surtout que son plateau, partie sensible sur ce type de commode, n'avait pas souffert de dommages trop importants, ce qui est particulièrement rare. Il fut donc inutile de le déplaquer ou d'y insérer une âme de renfort tel que nous avions dû nous y résoudre pour notre précédente commode de Thomas Hache. Cependant comme il se trouvait voilé (concave) et que de plus son âme avait séché (problème récurrent des dessus plaqués), le placage fendu au centre bouché à la résine tandis qu'avait été rapporté en dessous un épais renfort de contreplaqué, renfort dont notre ébéniste à fait table rase avant de couper en deux planches égales qu'il a pu parfaitement redresser. Signalons qu'un angle de placage du plateau a été décollé puis recollé, ce qui nous a permis de noter que le placage est encore particulièrement épais et que son contre-parement porte les traces de 10 dents pour 2 cm, ce qui correspond parfaitement à une réalisation du tout début du XVIIIe siècle.

 
 

 

 
 

Le plateau dans l'atelier avant restauration.

 
 

 

 
 

Nos observations nous permirent de constater que le bâti du meuble est entièrement en sapin. La liaison des côtés et de la traverse supérieure est réalisée dans la pure tradition des Hache, à savoir queues d'aronde et tenons-mortaises. Les tiroirs sont montés en feuillure (dit encore à encastrement, c'est à dire le fond maintenu dans une encoche du bord inférieur de chacun des côtés), soit le procédé le plus sophistiqué, et donc sur les quatre faces (dos compris), ajustage que nous avons toujours mis en avant dans nos examens des meubles de Hache comme l'un des éléments d'attribution le plus déterminant. En effet ce montage d'ébéniste est fort peu utilisé en province (et plus rarement encore s'agissant du dos du tiroir), hormis par la famille Hache et quelques rares autres artisans du dauphiné parmi lesquels Mondon de Grenoble, mais aussi les Couleru à Montbéliard, on le rencontrera encore à Nantes où était établie une petite corporation d'ébénistes. Presque chaque fois que nous avons vu une commode du Dauphiné copiant le style des Hache, elle ne manquait pas, pour peu qu'elle fut sincère (nous voulons dire par là véritablement ancienne et pas une contrefaçon récente), de se trahir par l'absence de ce montage.
Signalons encore une particularité de Thomas Hache que nous avons pu noter à nouveau ici : en façade du tiroir le montage est apparent, tant celui du plancher que celui des queues d'aronde, le placage épais d'une ligne (soit environ 15 mm) recouvre les assemblages en queue d'aronde ainsi que le fond collé par dessous à la façade du tiroir, tandis que latéralement des cales verticales viennent recouvrir une partie des queues d'aronde et servent de butées aux tiroirs en se logeant dans les feuillures pratiquées sur le parement des montants avant.
Et enfin comme toujours chez Hache (et contrairement à Mondon, son rival de Grenoble, qui chevillait ses dos) l'assemblage du dos de la commode achève la construction de son bâti, après le montage des côtés, des traverses de façade et des coulisseaux. C'est pourquoi les planches horizontales sont simplement maintenues par des clous forgés dans des feuillures pratiquées à l'arrière des côtés.

Cependant, comme toujours pour un meuble de cette qualité de la période Louis XIV (ici nous sommes en présence, rappelons-le, d'un meuble d'un peu plus de 300 ans) une restauration méticuleuse s'avérait nécessaire. La commode a donc été l'objet d'une restauration de haut niveau, qui s'est espacée sur une année. Cela a permis au meuble lui même de s'adapter à l'hydrométrie de l'atelier, de ménager des temps d'imprégnation, d'assouplissement, de tension, de séchage et d'absorption nécessaires par exemple à la dissolution des colles.
La commode a été "déshabillée", les bronzes redorés (et ainsi nous avons eu le loisir de peser sa garniture : 9,5 kg !), son placage reverni au tampon par nombreuses passes successives.
La commode a conservé sa patine ancienne du fait d'un ponçage extrêmement fin, et nous ne l'avons pas sacrifiée à la mode du "tout clair" en nous abstenant de tout procédé chimique.
Elle se présente donc sous nos yeux dans un état, éclat serions-nous tenté de dire, qui ne pourra que combler l'amateur le plus exigeant, et nous avons toutes les raisons de croire qu'elle se présentait semblablement il y a 300 ans, notamment pour la raison que son placage a retrouvé très exactement la couleur qui était encore sienne sous ses bronzes (parties donc demeurées à l'abri de toute source lumineuse) et en effet ce ton brun foncé du palissandre convient parfaitement (tout comme les mauves foncés des bois de violette et d'amarante, sans aller jusqu'au noir de l'ébène) pour faire ressortir l'éclat des riches garnitures de bronze doré. Car donc si Hache, disposant de tout une gamme de bois aux couleurs claires, avait souhaité donner une telle tonalité à sa commode, il n'aurait certainement pas utilisé le palissandre.