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Exceptionnel buffet deux corps rennais à corniche double cintre en merisier mouluré et très richement sculpté, ouvrant par quatre portes et deux tiroirs, signé Croizé et daté 1806. Travail de Pacé en pays de Rennes, attribué à Jean-Charles Croizé ou Croizé II. Façade
et côtés en bois de merisier. Assemblage du bâti à
tenons, mortaises et chevilles, fonçures et étagères
en châtaignier.
Epoque : premières années du XIXe siècle.
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Le buffet à deux corps est un meuble éminemment représentatif du mobilier du Pays de Rennes et le véritable "graal" du collectionneur, surtout quand y est apposée une telle signature. En effet les Croizé, qui formèrent sur quatre générations une véritable dynastie et qui furent indiscutablement, devant même les Tullou et les Allory, les plus importants sculpteurs rennais, ne nous en ont laissé que de très rares exemplaires. En vérité seuls deux autres nous sont connus, et nous les reproduisons ci-dessous. Le Docteur Jambon écrivait à propos du buffet rennais : "Il est fort probable même que, pendant très longtemps, il fut spécialement réservé aux familles les plus aisées. Quoiqu'il en soit, les spécimens que nous connaissons sont presque toujours très beaux." Ces exemplaires commandés aux Croizé coûtèrent sans nul doute fort cher à l'époque, et sans doute aussi ces meubles constituaient de véritables "morceaux de bravoure" pour les Croizé qui les fabriquaient pour leurs plus riches clients. Le premier figure dans de nombreux ouvrages, et bien des amateurs le considérent à ce jour comme le plus merveilleux buffet rennais. Il est l'oeuvre de Charles Croizé, fondateur de la célèbre dynastie (ou Charles Croizé I (né en 1746 à Pacé - décédé en 1814 à Saint-Gilles), signé : "FAIT PAR MOI CHARLES CROIZE CE 19 AOUT 1785". Ses trois particularités immédiatement repérables sont les superbes coquilles ajourées qui ornent les traverses hautes des portes du corps supérieur, la présence d'incrustations de bois de placage découpé et enfin le galbe des tiroirs ainsi que des traverses (la traverse médiane ayant la particularité d'être galbée en plan, mais également en élévation pour rattraper le niveau des portes qui sont planes). Le second, non daté mais également signé de Charles Croizé, a été découvert récemment, il est la fierté d'un grand collectionneur du mobilier rennais. Est-il antérieur en âge ou postérieur au premier? Difficile de le dire, mais très certainement fabriqué dans la même décennie, il présente une construction et un décor presque identiques, avec cependant l'ajout aussi atypique que hardi d'une sculpture ajourée de la traverse médiane. A noter toutefois que les façades de tiroirs, très probablement marquetées à l'origine, ont hélas été refaites et ornées de sculptures. Ce spécimen qui a perdu ses étagères à bobèches a cependant conservé son grillage d'époque fait à la main.
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Notre exemplaire est signé Croizé, daté 1806, et sa signature : "FAIT LE 8 JANVIER 1806 P : C.zé" nous amène à une période de transition de l'atelier, entre Croizé père et fils. En effet, en 1806, Jean-Charles Croizé est âgé de 31 ans, ce qui est l'âge de la pleine maturité pour un sculpteur. Deux armoires de cette période nous sont connues et portent comme signatures : "FAIT LE 8 OCTOBRE 1806 PAR CROIZE" et : "FAITE LE 18 OCTOBRE 1810 PAR CRzé A PACE". On peut noter les similitudes entre ces trois signatures, qui marquent à la fois la disparition du prénom Charles et les premières apparitions des dates "en 8" de l'atelier Croizé. Par la suite, en tous cas dès 1814, soit l'année de la mort de son père, Jean-Charles Croizé devient donc seul maître de l'atelier et ses signatures seront de ce type : "FAIT DU 28 OCTOBRE 1814 PAR CROIzé". Nous donnons donc de manière formelle ce meuble pour un travail de Charles Croizé II (Jean-Charles : fils aîné de Charles Croizé, né en 1775 à Pacé - décédé en 1848 à Pacé), qui s'inspire visiblement des modèles de son père, toujours présent à ses côtés, et qui tente même ici de les sublimer : même coquille ajourée, mêmes galbes du corps inférieur mais ajout d'un profil en arbalète (à notre connaissance parfaitement inédit dans le mobilier rennais) et d'un fronton de corniche ajouré dans l'esprit de deux armoires de Charles Croizé I datées de 1800. Tout comme le second buffet, celui-ci a perdu ses étagères en vaisselier (pour cause de commodités) et, tout comme le premier, a été vitré. Jean-Yves Veillard, historien et chercheur, ancien conservateur du musée de Bretagne, est l'auteur d'un fascicule : Une dynastie de menuisiers du pays de Rennes, les Croizé, dans lequel il décrit l'importance de cet atelier : |
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Le corps supérieur, à retrait, léger en largeur mais plus important en profondeur, est coiffé d’une corniche à double cintre sculptée d’acanthes imbriquées entre deux rangs sculptés, l'un d'une collerette festonnée, l'autre d'un ruban plissé. Elle est surmontée d’un rare et exceptionnel fronton sculpté en frise à claire voie qui court sur toute la largeur du meuble : au centre un cartouche réticulé, ourlé de collerettes et surplombé de cinq fleurettes, d'où s'étirent des feuilles nervurées dessinant des panaches en S et ponctuées de fines crossettes affrontées ou intercalées de palmettes. La traverse supérieure reprend ce même motif de mouvements en S dans des réserves, mais cette fois agrémentés de collerettes et pontués de fleurons. Au centre figure une coquille en collerette étirée, enfermée dans un cartouche en C couché, elle constitue un ornement récurrent à cet endroit particulier et reconnaissable du travail de Jean-Charles Croizé. Les montants, bien épais et à coins arrondis, sont sculptés dans des réserves de motifs floraux du même régistre que celui de la traverse supérieure, et de même pour le faux-dormant, au milieu duquel se trouve la signature. |
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Les portes, adoptant le mouvement cintré, sont bordées d'un quart-de-rond et sont divisées en deux panneaux par une fine traverse médiane fortement chantournée et bordées intérieurement de larges moulures doublées à mouvements polylobés et soulignées d'un fin ruban plissé. A l'amortissement de la porte, posée sur un croissant de lune, lui même bordé d'une collerette nervurée, s'épanouit une coquille Saint-Jacques à sept valves rudentées de fleurons intercalés de perles. De cette large coquille s'étirent des feuilles d'acanthe crispées qui rejoignent les traverses latérales. Le tout, traité en ajouré et s'affranchissant du cadre des moulures pour composer, par une dextérité de la main et une grande habileté du dessin, un exceptionnel motif en trompe-l’œil du plus bel effet. |
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Le plateau intermédiaire est façonné sur son pourtour d’une moulure en bec-de-corbin et, détail caractéristique des deux corps rennais de qualité, une petite plinthe moulurée y est chevillée pour recevoir le corps supérieur par emboîtement. L'élément très particulier est ici le ressaut arrière du plateau, rappelant celui des commodes Louis XIV. Le bas
de buffet est surmonté de deux tiroirs, marquetés de poirier noirci et de buis, profilés en arbalète et encadrés de deux
traverses adoptant ce même profil, celle du bas richement sculptée dans des réserves moulurées étant galbée en élévation. Entre les tiroirs, la traverse intermédiaire verticale est également richement sculptée d'une coquille imbriquée dans un coeur réticulé (ornement habituel de l'atelier Jean-Charles Croizé placé au centre des traverses basses des armoires) et surmontée d'une palmette. La sculpture se délie d'une à l'autre de ces deux traverses sans entraves, la moulure venant même se finir en pointe à l'arasement de la traverse et des montants. Tout comme les portes, les tiroirs sont moulurés d'un quart-de-rond et sont garnis d'entrées de serrure et de poignées en fer (postérieures). |
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Les portes sont droites, à mouluration polylobée, avec un mouvement en arc cintré de la traverse haute. La mouluration est identique à celle des portes supérieures mais cette fois les panneaux sont pleins, et richement sculptés. La traverse basse est chantournée et bordée d'une large collerette festonnée qui se poursuit sur les pieds cambrés à enroulements munis de bouchons. |
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Les panneaux, mis en relief par une plate-bande, sont sculptés dans le pur style Régence d'une coquille traitée au naturel posée sur un culot d'acanthe d'où s'échappent de larges collerettes festonnées inscrites dans des mouvements en C et en S ponctués de volutes. Au dessus s'étire un dais à baldaquin dans le style Bérain. Réticulé et orné de campanes, il est surmonté de feuilles en palmettes dans une large collerette étirée. |
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Il convient de souligner, outre la qualité de menuiserie inégalable en Haute-Bretagne des ateliers Croizé que l'on retouve sur ce meuble, la qualité de sculpture d'une douceur et d'une délicatesse unique et particulière à Charles Croizé II. Si Charles Croizé, premier du nom, né en 1746, à Pacé que l’on désigne habituellement comme le berceau du mobilier rennais, fut le fondateur de la plus célèbre lignée de sculpteurs rennais et l'un des plus importants sculpteurs du pays de Rennes, peut-être même le plus formidable de tous en sculpture pure, le mieux à même de lui contester ce titre, et notamment par ses talents de dessinateur et d'inventeur, est sans nul doute son fils aîné, Jean-Charles Croizé, qui sera son digne successeur en menant le style rennais à son apogée (il y a là un parallèle à faire avec les Hache de Grenoble, d'autant que pareillement nous avons affaire ici à des inventeurs, non à des suiveurs). Ce buffet de 1806 en fait la démonstration, il est sans doute le plus exceptionnel buffet rennais connu à ce jour. |
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