Cette armoire de la région de Bayeux est incontestablement l'une des plus riches armoires jamais fabriquées dans la plaine de Caen, commande de riches propriétaires terriens dont elle fut la fierté .

Il s'agit d'un meuble orné d'une multitude de motifs symboliques et qui "donne à voir".

Son répertoire ornemental est exceptionnellement riche et original.

La sculpture est en fort relief, à la fois nerveuse, fouillée et parfaitement dégagée.

Le meuble est entièrement construit en chêne maillé dit merrain, d'une qualité et d'un assemblage irréprochables.

Les sections de bois employées, tant en largeur (pour les panneaux et traverses ) qu'en épaisseur (pour les motifs), permettent au sculpteur de pleinement s'exprimer et présentent l'opulence des plus exceptionnels spécimens de Normandie.

Très longues entrées de serrure en fer ouvragé, originaires de Tinchebray, à motifs de têtes de coq stylisés et de cartes à jouer. Fiches à lacets de la hauteur de la porte à trois points de fixation.
Belle serrure et clé.

Le meuble est coiffé d'une corniche aux angles à fort ressauts et doté de six rangs de sculptures : oves, ruban torsadé, godrons, perles et rai-de-coeur alternés auxquels s'ajoute, sur la traverse haute, un double rang de guilloches et rais-de-coeur.
Le centre de la traverse est sculpté d'un vase en fort relief d'où s'echappent en un énorme bouquet des fleurs variées : roses, marguerites, tulipes, dahlias ( symboliques de l'amour), des fruits et feuillages.

En lieu et place des traditionnels bouquets de portes, l'armoire ici est ornée d'extraordinaires cygnes (symboles de l’amour et de la féminité) qui soutiennent en leur bec des guirlandes tressées de fleurs retombant en festons du vase central, guirlandes qui passent en trompe l’œil devant la porte. Ce superbe travail en haut relief et ajouré témoigne de la virtuosité du sculpteur. On peut noter au passage la gracilité du cou de l'animal.
A noter également que ce trompe l’œil est absolument rarissime dans le mobilier régional français et, plus encore qu'un tour de force de sculpteur, c'est la preuve d'une assurance d'ornemaniste véritablement sans égal dans le mobilier Bas-Normand.

Les traverses supérieures des portes sont sculptées de paniers fleuris sur piédouches reposant sur des culots d'acanthes où se croisent flèches, carquois et torchères (symboles de l'amour et du mariage).
Le faux dormant est sculpté au sommet d'une crosse en fort relief surplombant une acanthe en console renversée attachée d'une tige de fleurs tressées en ronde bosse ajourée. La partie centrale est agrémentée d'une longue tige florale spiralée entre deux cordons torsadés. La base reçoit un grand vase d'où s'étirent fruits et tiges fleuries.

Les médaillons à décors de personnages et de logis normands sont, pour leur part, pratiquement inédits.
De même, le superbe motif de rameaux de laurier noués, en fronton de ces médaillons, et rappelant les cadres des portraits ovales de l'époque Louis XVI, ne se rencontre jamais sur ce type d'armoire.
Comme souvent dans le mobilier régional, la virtuosité va de pair avec l'inspiration et nous sommes en présence de l'oeuvre d'un maître-sculpteur plein d'assurance et de fantaisie, qui se libère tout à la fois des contraintes induites par le cadre (ici normalement totalement évidé) et par l'usage établi.
A l'image de nombreux petits détails asymétriques, les médaillons présentent un décor légèrement différent :
l'un est sculpté d'un paysan, une pelle à la main, disposé entre un arbuste qu'il s'apprête à planter et un manoir, le tout sous des rameaux de fleurs noués d'un ruban (symboles des liens amoureux, de la fécondité et de la prospérité), l'autre est sculpté d'une femme tenant un panier empli de fleurs, entre le même corps de logis et une colombe sur un autel (symbolisant le bonheur, la fidélité et le mariage).
De parts et d'autres, deux réserves ourlées d'un rang de perles puis de rais-de-coeur sont sculptées, tantôt d'une petite corne d'abondance, tantôt d'un fin ruban noué, et d'où s'échappent fruits et tiges de fleurs.

Les traverses inférieures des portes se voient parées de tiges de marguerites suspendues et nouées d'un ruban.
En dessous d'un culot en fort relief soutenu par une coquille (symbole de la fécondité, très peu employée dans le mobilier normand) la traverse basse se voit parée d'énormes cornes d'abondance (symbole de prospérité) affrontées remplies de graines et d'où s'échappe en feston une longue tige de roses.
Les pieds épais sont ornés d'un enroulement d'acanthe dans lequel s'imbrique un collier de perles, sculpté dans la masse mais ajouré à l'aplomb du pied.

La qualité de menuiserie est ici au delà du standard des armoires de Basse-Normandie et rejoint, sinon dépasse, celui des plus beaux spécimens de Seine Maritime.
Le chêne maillé dit "merrain" est obtenu, à l'inverse du sciage de long, par un débit de l'arbre en quartiers. Il nécessite des arbres centenaires et sans défauts, et implique davantage de pertes puisque le sciage n'est pas parallèle (exactement comme les quartiers d'une orange). Cependant il présente l'avantage d'être à la fois plus léger et plus solide, mais surtout il apparaît beaucoup plus beau une fois ciré ou vernis, de part ses moirures.
Il est rare de trouver un meuble ainsi totalement fabriqué en merrain, car ce bois, extrêmement délicat à travailler à la gouge, était habituellement remplacé par du chêne courant pour les parties sculptées et de plus son prix de revient d'autre part n'incitait pas à l'employer pour les dos, planchers et plafonds.
Cette armoire, tout en merrain, est d'une légèreté surprenante à l'égard de ses dimensions et de ses formes et, en dépit des ans, ne présente pas la moindre attaque de xylophages.

Dimensions : Hauteur 2,45 m - Largeur 1,51 m - Profondeur 0,53 m
Corniche \ Largeur 1,85 m - Profondeur 0,69 m

Etat : meuble dans un très bel état d'origine, d'ailleurs photographié avant restauration et finition.

Epoque : Travail de Basse-Normandie (Calvados) du début du XIXe siècle.